Le Brésil inaugure l’apprentissage par le faire
Publié le 9 avril 2015 par Ewen Chardronnet
L’une des meilleures universités de Saõ Paulo ouvre un cursus pour ingénieurs avec fablab intégré qui privilégie l’apprentissage par le prototypage. Makery a été voir comment ça se passe.
Saõ Paulo, de notre correspondant
Si les fablabs sont à l’origine issus du cours du MIT How to make almost anything, aujourd’hui, les universités et autres espaces de formations supérieures sont finalement assez peu représentés. D’après la liste fablabs.io en France, seul quatre fablabs ouverts à tous sont pilotés ou liés a des établissement d’enseignement : les Fabriques du Ponant porté par Télécom Bretagne, le FacLab, fablab de l’Université de Cergy-Pontoise, l’Innovation Lab soutenu par Kedge Business School ainsi que le Glass Fablab du CERFAV.
Pourtant, du côté de l’enseignement secondaire, les choses bougent. Makery s’est fait l’écho des multiples initiatives qui fourmillent pour porter de nouvelles pratiques pédagogiques, de la classe inversée, de l’apprentissage par le faire et le partage, de l’expérimentation avant la théorie, des pratiques que l’on retrouve au cœur des fablabs.
L’université privée Insper à Saõ Paulo, qui se revendique comme l’une des meilleures du pays, vient d’ouvrir un nouveau cursus d’ingénierie dont la particularité est de s’appuyer sur la mise en place d’un fablab connecté au réseau international et disposant d’une journée ouverte pour la communauté.
Vinicius Licks, coordinateur du programme, explique que l’objectif lors de la conception de ce cursus en 2012 était de « faire quelque chose de différent ». « On voulait démarquer cette formation des cursus plus traditionnels en s’appuyant sur d’autres pratiques pédagogiques. En m’intéressant aux autres universités comme le MIT, je suis tombé sur le concept de fablab et nous sommes entrés dans la foulée en contact avec l’association locale brésilienne. » Dans une école d’ingénieurs, on retrouve plusieurs laboratoires : chimie, physique, sciences des matériaux…, moins souvent de petites machines et autres outils à commande numérique. Pour Vinicius Licks, « le fablab est un “laboratoire” au même titre que les autres : on a basé cette nouvelle filière sur un principe très simple, l’apprentissage par le faire (learning by doing). Même si ça peut paraître banal, les écoles d’ingénieurs sont rarement faites comme ça. Le fablab est le lieu où on peut construire, prototyper et rendre tangible. Nous avions en tête des espaces comme les ateliers bois, les ateliers métal que l’on retrouve dans d’autres écoles, et on trouvait que le fablab en était la version 2.0. »
Un lieu ouvert à toute l’école, et au grand public le jeudi
Le lieu est effectivement un fablab bien équipé avec un fabmanager qui accompagne les nouveaux étudiants et deux stagiaires qui aident à préparer les cours et organisent la médiation avec les autres étudiants de l’école. Le fablab est en effet ouvert à toute l’école, mais également à l’extérieur. De 10h à 20h le jeudi, une communauté grandissante (le fablab est ouvert depuis 6 mois au public et les cours viennent de débuter) vient se mêler aux étudiants.
Pour Vinicius, cette ouverture est nécessaire : « On veut que nos étudiants se frottent à d’autres pratiques, mais surtout, qu’ils soient baignés dans une culture de collaboration et qu’ils sachent travailler ensemble. Ils vont pratiquer de l’open innovation mais découvrir ce terme seulement au 4ème semestre. » C’est sur ce dernier point que ce cursus d’ingénieur se veut innovant. Il s’appuie sur une littérature éducative qui montre que les élèves assimilent plus lorsqu’ils pratiquent avant d’apprendre la théorie. « Les travaux de Paulo Blikstein (un professeur brésilien à Stanford créateur du programme Fablab@School, ndlr) peuvent en simplifiant à l’extrême se résumer en “faites-le d’abord, apprenez la théorie, et refaites-le” (Do it first, learn the theory, then do it again). Par rapport à des écoles d’ingénieur plus traditionnelles, nous développons la majorité des cours en mode projet, les laboratoires ne sont pas seulement là pour faire des travaux appliqués de la théorie. »
Johnny le cafard par Alejandro Quiroga, étudiant ingénieur :
Brosse à dents et insecte électronique
Par ailleurs, en plus des heures d’humanités, sciences économiques et sociales communes à la majorité des écoles d’ingénieurs, les étudiants ont 60 heures de design par semestre, un enseignement délivré par des professionnels. Qui privilégient là encore la pratique. Makery a assisté aux premiers cours de « design nature ». Pour montrer aux futurs ingénieurs ce que l’on attend d’eux, un premier projet très simple, la construction d’un micro-robot bien connu, Bristlebot, une tête de brosse à dents avec un petit moteur et une pile qui permet de le faire avancer, a été réalisé et renommé pour l’occasion “insecte électronique”. Puis les étudiants ont été invités à démonter par rétro-ingénierie des Bristlebots commerciaux. Ils ont ensuite téléchargé un logiciel permettant de modéliser en 3D afin de le prendre en main, de dessiner un Bristlebot puis de l’imprimer en 3D, avec quelques règles (moins d’une heure d’impression, taille contrainte…).
Premier essai pour l’insecte électronique, par l’étudiant Yuri Stefani :
Pour Héloisa Neves, en charge du design à l’école, l’objectif était de « créer un insecte électronique à travers l’apprentissage par le faire tout en développant une boucle : “essai, erreur, apprentissage”. On demande aux étudiants de “faire” (hands-on) à toutes les phases, puis de prendre un moment d’analyse et de réflexion sur ce qu’ils ont fait pour passer à la théorie. Nous leur demandons également de tenir un carnet sous forme de blog afin qu’ils apprennent à documenter ce qu’ils font, pour les pousser à prendre du recul ».
Plus d’autonomie, moins de maths
Vinicius attend de ces futurs ingénieurs qu’ils aient un « profil ingénieur entrepreneur capable de comprendre les usages et le marché, qu’ils sachent travailler en équipe, en collaboration, qu’ils passent moins de temps sur l’analyse pour proposer des solutions et plus par des boucles itératives agiles, que nos futurs ingénieurs soient autonomes ». Si la formation de ces ingénieurs très “horizontaux” peut paraître un peu contradictoire avec les modèles verticaux des grandes industries, pour Vinicius, « ça sera aux grands groupes de s’adapter et d’offrir un environnement de travail dans lequel ils puissent se réaliser ».
Comment le top management de l’école se situe-t-il par rapport à cette formation un peu hybride ? « Nous savons qu’en développant autant la pratique, nous avons dû faire des concessions par rapport à des formations plus classiques, reconnaît le coordinateur. Leurs heures sont comptées et ne sont pas extensibles. Nos étudiants feront moins d’heures de maths, de calcul, de physique qu’une formation comme Polytechnique mais nous pensons qu’ils auront d’autres arguments à faire valoir. »