Terre en vue! Traverser l’Atlantique comme Greta
Publié le 29 août 2019 par Ewen Chardronnet
Alors que Greta Thunberg attire des armées de trolls pour avoir traversé l’Atlantique sur un voilier IMOCA dans le but de se rendre au UN Climate Action Summit 2019 à New York, Makery a exploré les options pour le «Faire comme Greta».
Au moment où j’écris ces lignes, l’activiste et militante climatique Greta Thunberg arrive à New York à bord du voilier de régate équipé solaire Malizia 2 (l’ancien Gitana 16, un bateau classe IMOCA du Vendée Globe Challenge sur lequel Sébastien Josse avait gagné la transat 2015 Saint-Barth-Port-la-Forêt), cela après que le navigateur Boris Hermann ait répondu à son tweet dans lequel elle demandait à ses abonnés comment elle pouvait traverser l’Atlantique pour assister à la COP24 au Chili et d’autres rendez-vous dans les Amériques sans passer par un vol en avion. Le Malizia 2 a effectué la traversée de l’Atlantique sans encombres et à belle vitesse dans un voyage zéro-carbone, avec le slogan « Unite Behind The Science » dans la voile. Selon son fil twitter, le voilier est « l’un des rares bateaux au monde qui permet des voyages de ce type sans émission de carbone. Le Malizia 2 abrite également un lab qui mesure le CO2 de surface et la température de l’eau en coopération avec le Max Planck institute. »
Welcome to New York, @gretathunberg!
The determination and perseverance shown during your journey should embolden all of us taking part in next month's #ClimateAction Summit.
We must deliver on the demands of people around the world and address the global climate crisis. pic.twitter.com/dGUZr9fFQM
— António Guterres (@antonioguterres) August 28, 2019
Manhattan! pic.twitter.com/8SxPYk2WRk
— Greta Thunberg (@GretaThunberg) August 28, 2019
Selon le site de Hermann :
« Le Malizia est équipé d’un système solaire dernier cri de 1,3kW ainsi que de deux générateurs hydrauliques, qui sont installés de manière permanente à la poupe du bateau… Avec ces deux systèmes indépendants, nous générons plus d’électricité que ce dont nous avons besoin à bord. Les deux sources énergétiques nous permettent de faire fonctionner les systèmes électroniques et électriques du bord – les instruments de navigations, les pilotes automatiques, les déssalinisateurs et notre lab océanique SubCtech. »
Day 12. We are getting closer to the North American mainland. Rough conditions, but downwind sailing. pic.twitter.com/n9huwHUSGI
— Greta Thunberg (@GretaThunberg) August 25, 2019
Depuis un moment déjà Greta Thunberg attire sur elle du trolling de masse, dont il se dit qu’il est financé par des entreprises du secteur pétrolier ou de pays comme la Russie, qui veulent augmenter, et non faire décroître, l’exploitation pétrolière, mais on a touché le fond quand le démagogue d’extrême-droite et financeur de l’ombre de la campagne du Brexit Arron Banks a tweeté à propos de l’adolescente : « Des accidents scabreux de voilier peuvent survenir en août… » Heureusement ce n’est pas ce qu’il s’est passé et Thunberg et son père sont arrivés sain et sauf à bon port.
Freak yachting accidents do happen in August … https://t.co/6CPePHYLtu
— Arron Banks (@Arron_banks) August 14, 2019
Un tour en vélo épique
Mais comment le reste d’entre nous peut s’unir derrière Greta Thunberg, dans les actes plutôt que dans les mots, et l’idée de traverser l’Atlantique en émettant moins, voire pas du tout ? Ce n’est pas tout le monde qui peut embarquer à bord d’un voilier de course (encore moins sans avoir le mal de mer). La route conventionnelle est celle des bateaux de commerce et l’activiste Kate Rawles de Outdoor Philosophy vient de l’emprunter, avec son vélo en bambou, effectuant ensuite un voyage épique jusqu’au « bout du monde », le Cap Horn – quelque chose qu’elle nomme « the life-cycle » sur son blog. Elle a voyagé jusqu’au Etats-Unis sur un navire de commerce avec The Cruise People, qui affirme sur son site internet que « voler produit 36 fois plus de dioxyde de carbone par kilomètre-passager que voyager par la mer ».
Rawles dans le « Tough Girl Podcast » explique : « C’est pas loin d’un broker aérien – c’est un peu rude et les horaires ne sont pas fiables. Il n’y a pas d’Internet et il est préférable d’avoir quelque chose sur lequel travailler – il n’y a rien d’autre à faire hormis regarder les baleines et les poissons volants. Cela nous a pris 13 jours à l’aller et un mois au retour. » Je lui ai demandé à quel point cela était efficace en terme de changement de système et comment voyager en bateau de commerce pouvait remettre en cause le monopole de l’aviation, dans la mesure où cela émet toujours du carbone et que cela peut passer pour quelque chose de luxueux que peu de monde peut se permettre ? « C’est un moyen efficace pour le passager de réduire ses émissions personnelles pour un voyage qu’il effectuerait en avion autrement. Mike Berners-Lee, l’auteur expert en empreinte carbone m’a dit que mon retour transatlantique pour le voyage The Life Cycle aurait eu une empreinte carbone de 2 tonnes si j’avais voyagé en avion, en classe économique ; mais a eu une empreinte d’à peu près 50kg compte tenu du fait que j’ai voyagé sur un navire de commerce. Cependant, l’industrie du transport maritime dans son ensemble a une empreinte plus importante que l’aviation (car elle implique un volume considérable) et coûte substantiellement, environ 100 euros par jour. »
« Donc non, ce n’est sans doute pas central pour le changement systémique dont nous avons besoin. Nous devons bien préciser qu’il s’agit d’un choix et d’une responsabilité personnels. Les actions individuelles sont bien sûr importantes, mais pour une transformation complète du système, seuls les gouvernements et leurs associés peuvent permettre les changements que les individus ne peuvent porter. Dans le cas des transports, par exemple, nos systèmes doivent devenir à moindre impact et cela doit se faire plus facilement, plus agréablement et à moindre coût. Pour moi ce fut un voyage que l’on fait une fois dans sa vie et dans un objectif précis que je ne renouvèlerai pas. Une vision plus large nous enseigne qu’il ne suffit pas de trouver des substituts aux vols au long cours, mais tout simplement qu’il nous faut voyager beaucoup moins. »
Il existe aujourd’hui plusieurs compagnies qui proposent d’embarquer sur des navires de commerce. J’en ai contacté plusieurs récemment étant donné que je prévois d’aller au ISEA 2020 (International Symposium of Electronic Arts) à Montréal et que je ne vois pas d’autre manière d’y arriver depuis la France. Un bon guide est le site Beyondships.
Pas de ferries pour New York
Mais pourquoi n’existe-t-il pas de ferries pour New York ? j’ai récemment effectué un voyage pour la Finlande sur le Viking Grace qui fait la rotation entre Stockholm et Turku, et l’idée m’est venue à l’esprit que cela ne serait sans doute pas si compliqué pour les navires de traverser l’Atlantique. J’ai contacté Viking Line, qui est installée en Suède et en Finlande et qui est à la peine pour tenter de réduire ses émissions de carbone dans ses voyages réguliers entre Stockholm et Helsinki. Vous pouvez consulter leur « sustainability report » ici. Un porte-parole a répondu à Makery : « Nos navires ne sont malheureusement pas capables de traverser l’Océan Atlantique. Ils sont construits pour naviguer sur des traversées courtes et les cabines sont petites pour de longs voyages. »
J’ai voulu en savoir plus et contacté leur Project Manager, Kari Greenberg, pour savoir quels étaient les autres facteurs qui empêchent ces bateaux de traverser l’Atlantique. Il m’a répondu : « Le Viking Grace ne peut contenir qu’une quantité limitée de carburant à bord, ce qui l’empêche de réaliser des traversées de l’Atlantique. Il faudrait pouvoir faire le plein plusieurs fois. Par exemple, il y a 3864 milles nautiques entre le port de Goteborg et le port de New York, alors que la distance entre le port de Turku et celui de Stockholm n’est que de 175 milles nautiques. Le Viking Grace n’est pas équipé pour la production d’eau fraiche, toute l’eau potable est stockée à Turku ou à Stockholm. Le Viking Grace n’a pas de station d’épuration des eaux usées à bord, elles sont pompées vers les usines municipales de Stockholm et Turku, rien n’est rejeté à la mer. C’est la politique de Viking Line. Le Viking Grace ne possède pas d’incinérateur pour brûler les déchets, nous les transportons en 11 sections différentes vers des usines de recyclage à terre. Pour conclure, le Viking Grace n’est en rien conçu pour les voyages internationaux. »
Des navires transatlantiques comme le Queen Elizabeth 2, le MS Hamburg, le SS United States et le Vistafijord ont achevé leurs services entre 1969 et 1972 quand ils ont cessé d’être des moyens de transport viables pour travers l’Atlantique et ont été réarmés comme bateaux de croisière ou mis à la casse. Cependant la Cunard Line semble avoir senti le nouveau marché avec le Queen Mary 2, proposant des traversées de style croisière d’une semaine à des prix non négligeables (environ 3000 euros l’aller-retour) et équivalents à ceux des navires de commerce.
Le transport à la voile du commerce équitable
Mais comment stopper complètement les émissions carbonées ? Makery a documenté un certains nombre de projets récents qui transportent à la voile et à travers le monde des biens issus du commerce équitable, parmi lesquels la Times Up Boating Association ou Feral trade. Le grand voilier de commerce sans moteur Tres Hombres sert à de nombreuses organisations émergentes comme New Dawn Traders pour transporter des cargaisons du commerce équitable, et ces derniers transforment les bateaux à voile en des cirques ambulants qui ne transportent pas que des biens commerciaux.
Alexandra Geldenhuys: « Un voilier relie physiquement et métaphoriquement les communautés et les cultures lointaines. Le Slow Food Sailing Circus transporte non seulement des cargaisons, mais aussi des marins qui sont aussi des artistes, des enseignants, des artisans, des makers, des musiciens, des scientifiques et des chefs cuisiniers. À l’heure actuelle, 90% de ce que nous achetons nous parviennent par porte-conteneurs, qui utilisent souvent le pire type de carburant polluant, et beaucoup traitent leurs équipages de manière effroyable. La grande question qui se pose est de savoir quelle quantité de ce que nous achetons nous est réellement nécessaire. Les cargaisons que New Dawn Traders choisit d’expédier ont de la valeur principalement parce qu’il s’agit de produits difficiles à cultiver localement, telle l’huile d’olive, ou d’importance culturelle, tels que des produits uniques qui méritent d’être savourés : café, chocolat et rhum. Nous pensons que la qualité, en particulier des aliments, est intrinsèquement liée à la production éthique et que, par conséquent, notre nature épicurienne ne doit pas avoir un coût pour l’environnement. »
Retour à l’âge de la vapeur
Enfin, le duo d’artistes Maxime Berthou et Mark Požlep, qui avait auparavant mené le projet pionnier « Hogshead 733 » de transporter à la voile du whisky de l’île d’Islay jusqu’en France sur un bateau traditionnel breton, revient cet automne à l’âge de la vapeur avec « Southwind ». Leur projet a démarré par la restauration d’une bateau traditionnel à vapeur pour couvrir les 1712 milles nautiques du fleuve Mississippi depuis sa source au Minnesota jusqu’à son embouchure en Louisiane. Le voyage durera 50 jours et le but est de remplir entièrement le bateau de maïs cultivé par différents fermiers des 10 états traversés sur le cours du fleuve. A son arrivée à la Nouvelle Orléans le bateau à vapeur sera transformé en distillerie customisée qui produira du Moonshine, le célèbre alcool de la prohibition, à partir du maïs collecté.
Lancement du bateau Southwind :
Peace Boat Ecoship
À l’horizon pointent de nouvelles initiatives pour développer les voyages long-courriers telles que le Peace Boat Ecoship, dévoilé lors de la COP21 à Paris. Ce paquebot sera le navire de croisière le plus vert jamais construit et sera alimenté par solaire et éolien hybride. Le navire disposera de 10 voiles à panneaux solaires rétractables et d’éoliennes rétractables, ainsi que d’un moteur hybride dernière génération. L’Ecoship, construit en Finlande, devrait prendre la mer en 2020 et sa coque sera inspirée par la forme de la baleine.
Yoshioka Tatusya, le fondateur et directeur de Peace Boat (exploité par une ONG basée au Japon), a déclaré que son bateau était « le navire de croisière le plus novateur et le plus écologique à ce jour. Nous pensons que ce navire changera la donne pour l’industrie du transport maritime et contribuera à la protection de l’environnement. Ce sera un fleuron pour le changement climatique. Nous sommes très heureux de travailler avec un chantier naval finlandais et sommes impatients d’explorer des technologies propres et durables avec des partenaires de cette région, réputée pour leur leadership environnemental ». Bientôt nous pourrons tous suivre les traces de Greta.
Suivez Greta Thunberg sur Twitter.
UN Climate Action Summit à New York, 21-23 septembre 2019.
En savoir plus sur le transport de commerce équitable à la voile.
Suivez live le projet Southwind de Maxime Berthou et Mark Požlep à Paris au Studio 13/16, Centre Pompidou, du 21 septembre au 3 novembre 2019.
Alexandra Geldenhuys est invitée par Rob La Frenais à intervenir à Art After The Collapse en novembre.