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A Caen, le futur se conjugue au Turfu

ici la légende de tête. © DR

On était au lancement du Turfu festival, à Caen, qui fêtait du 11 au 15 octobre la recherche participative et l’innovation ouverte au centre de sciences Le Dôme.

Caen, envoyée spéciale

Le bâtiment en impose. Dominant la presqu’île de Caen du haut de ses 30m, le centre de culture scientifique Le Dôme organisait du 11 au 15 octobre la deuxième édition du Turfu festival. Cinq jours pour explorer gratuitement les pratiques de « la recherche participative et de l’innovation ouverte » dans le cadre de la Fête de la science

Le Dôme, centre de sciences Caen-Normandie, a été inauguré en avril 2016. © Carine Claude

Mobilité, handicap, open democracy, mais aussi bidouilles fun et protos en pagaille… La programmation en deux temps du festival, trois jours de workshops pour les étudiants et les pros, suivis d’un week-end grand public, mixe recherche appliquée à des sujets de société et démos d’objets futilitaires ou rétrofuturistes comme l’imprimante à cocktails et le Minitel à selfie.

Angèle, l’imprimante à cocktails, un projet du collectif Artishow. © Carine Claude

Hybridation des genres

« Il faut imaginer de nouvelles formes de médiation scientifique et culturelle, dit Bruno Dosseur, le directeur du Dôme, un établissement porté par l’association Relais d’sciences. Nous ne voulons pas faire des expos sur les objets connectés, mais faire des ateliers pour fabriquer des objets connectés en impliquant le grand public. C’est pourquoi, dès l’origine, nous avons voulu construire un bâtiment qui soit le plus modulaire possible. »

Car, fait exceptionnel pour un projet de cette ampleur, l’association est commanditaire et propriétaire de son lieu : un programme à 7 millions d’euros (dont 6 millions rien que pour la construction) financés dans le cadre d’Inmédiats, un consortium rassemblant plusieurs gros centres de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI) comme la Casemate à Grenoble ou Cap Sciences à Bordeaux.

Sur 2.500m2, le bâtiment à cinq niveaux en duplex est dominé par une coupole. © Carine Claude

Ouvert aux particuliers et aux professionnels dont certains élisent résidence à l’année (les « habitants », comme on les appelle ici), le centre accueille près de 50.000 visiteurs par an, dont 5.000 rien que pour son fablab. Pourtant, il n’est ni incubateur, ni médiathèque scientifique. Plutôt un objet hybride à mi-chemin entre le centre de sciences et le tiers-lieu, au fonctionnement plus proche d’un living lab que de celui d’un classique CCSTI.

« En rendant la population actrice des enjeux de la transformation numérique, elle produit elle-même des valeurs et de la connaissance », dit Jérôme Caudrelier, directeur de Casus Belli, une agence de communication résidente du Dôme et coorganisatrice du festival.

Un atelier pour imaginer le rôle des cinémas d’art et d’essai dans les villes futures. © Carine Claude

Pour François Millet, manager du Dôme, le festival permet également de faire un point d’étape sur les projets en cours de développement tout au long de l’année. « Ici, on veut faire interagir le public avec les chercheurs et les professionnels dans une démarche de coconstruction. On ne raisonne pas en termes de fréquentation comme pour une manifestation classique. Avoir plus de 400 personnes qui participent à un atelier de trois heures, ce n’est pas pareil qu’avoir 5.000 personnes qui viennent faire un tour pendant 10mn… ». Avec plus de 440 inscrits dès le premier jour, les ateliers faisaient en effet déjà le plein. (édit : 2.000 visiteurs sont venus pendant les journées grand public).

Le patrimoine au fablab

En Normandie, difficile d’échapper à la tapisserie de Bayeux et aux exploits de Guillaume le Conquérant. Même le fablab du Dôme s’y est mis avec son workshop Surface textile pour reproduire deux piliers sculptés représentant la Reine Mathilde et le célèbre duc. « Les œuvres originales ont été réalisées par Charles-Emile Pinson pour la reconstruction de l’université de Caen après la guerre », raconte Jean-Marc Routoure, enseignant-chercheur délégué auprès de l’association Relais d’Sciences.

Jean-Marc Routure prend la pose à côté de la maquette du pilier de la Reine Mathilde. © Carine Claude

Dès le premier jour, les participants du workshop, principalement des étudiants, avaient déjà érigé les reproductions en bois grandeur nature. Ou presque. « Les originaux mesurent 6m de haut, mais on a dû les réduire à 5m parce que sinon ça ne passait pas », précise Jean-Marc Routoure en montrant du doigt les piliers frôlant les hauteurs sous plafond.

Pile, le personnage historique à la CNC. Face, sa biographie à la laser. © Carine Claude

Pour chaque pilier, les effigies monumentales ont d’abord été gravées à la fraiseuse. Chacune est accompagnée sur une autre face du pilier d’un texte gravé à la laser revenant sur les hauts faits des illustres personnages. Deuxième étape : la phase tricot, couture et yarn bombing pour les habiller. « Ensuite, on va ajouter de l’électronique pour les rendre communiquants. Plutôt que des capteurs de mouvement, on part plutôt sur des capteurs sonores », ajoute Jean-Marc Routoure.

« Ils seront exposés pendant le festival et pendant les journées des arts et de la culture de l’enseignement supérieur organisées au printemps à l’université. Ensuite, on essaiera de trouver un lieu pour qu’ils soient exposés en permanence », précise Jean-Marc Routoure.

Cultiver son potager sans forcer

Non loin de là, le robot-fermier Farmbot s’active tranquillement dans son coin. Imaginé par des Californiens, ce robot agricole open source permet d’automatiser la production et l’entretien d’un petit potager.

En démo, le robot-fermier Farmbot cultive des carottes en plastique. © Carine Claude

Pour un coût d’environ 3.000€, il sème, arrose, mesure l’hygrométrie, surveille les sols, enterre les mauvaises herbes… « Au niveau du Dôme, l’objectif est de déployer une vingtaine de Farmbots à l’échelle du territoire normand d’ici fin 2018-début 2019 pour réimplanter des espaces de production agricole en zone urbaine », explique Matthieu Debar, fabmanager du Dôme, expliquant que des étudiants de l’université de Caen développent un prototype vertical, pour cultiver directement sur les façades d’immeubles entre voisins. « C’est aussi une manière de requestionner la place du jardin ouvrier dans nos cités », ajoute-t-il.

Matthieu Debar, fabmanager du fablab du Dôme. © Carine Claude

Portraiturer les muons

Pour le workshop art et science, c’est du côté des rayonnements cosmiques que ça se passe avec le projet Nova Stella des artistes Thibaut Bellière et Paul Duncombe, en résidence au Laboratoire de physique corpusculaire de Caen. Le duo scrute les explosions d’étoiles en supernova pour transformer leur rayonnement en interactions visuelles ou sonores. Dans la pénombre, leurs machines traquent les trajectoires de muons, des particules qui traversent la matière et l’espace. Malgré les dispositifs de visualisation et les chambres à brouillard, leurs mouvements infimes restent quasi indécelables.

L’une des machines pour détecter les trajectoires des muons. © Carine Claude

Le défi pour les participants ? Réussir à capter ou à photographier toutes ces imperceptibles variations en s’initiant au code créatif. « L’idée de l’atelier est de montrer comment des artistes s’emparent de données scientifiques pour produire une œuvre poétique et sensible », explique David Dronet, enseignant aux beaux-arts et directeur du festival Interstice, référent du workshop.

Open badges à la fête

Visiteurs comme participants ne repartiront pas des ateliers les mains vides : pour chaque activité, ils pourront recevoir un badge numérique, sorte de sticker électronique à coller sur un CV ou un profil attestant des compétences acquises. Expérimentés pour la première fois sur une manifestation de ce genre, les Open Badges, sortes de sésame open source, ont été lancés en 2011 par les fondations Mozilla et MacArthur pour combler un manque dans la reconnaissance des apprentissages informels. Avec une pointe de gamification.

« Les open badges ont été créés pour pallier ce qui n’existe pas dans les diplômes, c’est-à-dire la reconnaissance des compétences transversales, des acquis de l’expérience ou encore de l’engagement associatif », explique Philippe Petitqueux, l’un des initiateurs de Badgeons la Normandie, un programme rassemblant chambres consulaires, collectivités et universités et destiné à faire de la région un « territoire apprenant ».

Exemple d’open badge attestant d’une compétence en prototypage. © DR

Mais alors, un open badge, ça ressemble à quoi concrètement ? « Un open badge est une sorte d’image contenant des informations et des métadonnées attestant de réalisations, de compétences et de valeurs que l’on peut obtenir en suivant une formation en ligne, en contribuant à un projet ou en participant à un chantier, par exemple. Contrairement à un CV purement déclaratif, les données du badge font apparaître l’émetteur et le bénéficiaire, les critères pour l’obtenir, etc. » Cet outil souple et vérifiable, affirme-t-il, pourrait révolutionner les parcours d’apprentissage.

Le site du Turfu festival