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Au premier Sex Tech Hack, un hackathon sur la sexualité à Londres

choloie pjoto

Les 17 et 18 décembre, à l’Université de Goldsmith, en Grande-Bretagne, se tenait le premier hackathon pour déjouer les rapports entre sexe et technologie. Reportage.

Londres, de notre correspondante (texte et photos)

« C’est fascinant comme lorsque tu changes les réglages, quelque chose qui aurait dû être excitant devient hilarant. » Francesco Pertigrari, étudiant en musique et informatique, et ses trois co-hakers, participent à leur premier hackathon. « C’est la première fois qu’on parle autant de sexe avec des inconnus », dit Simon Crowe, étudiant en culture digitale. 

Il y a quelques heures, ces co-hackers ne se connaissaient pas. Désormais, ils scannent ensemble des images de films porno, de MILF et autres « squirting » (éjaculation féminine), pratique « non-conventionnelle » en passe d’être interdite des sites pornos par le gouvernement britannique, en vertu du projet de loi sur l’économie numérique, expose Carleigh Morgan, autre participante du hackathon. « Pardon ? Quoi ? », interrompt Francesco. La conversation s’engage.

Les zizis que consulte Simon Crowe n’ont pas tous l’air aussi sympathique. 

Nous sommes au Sex Tech Hack, premier hackathon du genre organisé au Royaume-Uni et mis sur pied par le club de technologie des étudiants de Goldsmith, Hacksmith. « Un hackathon sur l’intimité, le compagnonnage et la sexualité avec un partenaire artificiel », explique Kevin Lewis, l’un des principaux instigateurs de l’événement, organisé en amont de la conférence internationale Love and Sex with Robots qui se tient les 19 et 20 décembre à l’université Goldsmith.

L’ancienne église du campus de Goldsmith, où se déroulait le hackathon.
Une cinquantaine de hackers et hackeuses ont répondu à l’appel.

Pour l’occasion, une cinquantaine de hackers, designers, chercheurs et étudiants se sont donnés rendez-vous dans une ancienne église du campus. Une audience hétéroclite et surtout à 50% « non masculine », se réjouit Kevin. « C’est super parce qu’on n’a pas fait d’effort particulier pour obtenir ce résultat, ça c’est juste passé comme ça. » Ici, l’accent est mis sur l’inclusion. Partout, le code de conduite est affiché.

Passion vibro

Avant la pratique, la théorie : présentation de sextoys et discussion sur le futur du sexe et de la technologie avec Kate Devlin, professeure à Goldsmith et co-organisatrice du hackathon. « On a discuté des matériaux, de comment exploiter l’activité neurologique, comment faire entrer en jeu l’odeur corporelle, expose-t-elle. Mais aussi de la perspective des personnes âgées ou des personnes atteintes de handicaps. » Spécialisée dans l’informatique et la sexualité artificielle, c’est elle qui a ramené la conférence à Londres lorsque celle-ci a été interdite en Malaisie, raconte-t-elle. « Trop extrême. »

Dans l’assistance, des passionnés. Comme Robert Ihnatisin, étudiant à l’université de Manchester d’origine italienne. Habitué des hackathons – c’est lui qui les organise dans son université –, celui-ci raisonne particulièrement pour lui : depuis plusieurs années, il est fasciné par les moteurs de vibromasseurs. « Au début, on s’est dit avec ma copine qu’on devrait utiliser des jouets. Puis j’ai regardé comment ça marchait et j’en ai fabriqué un. Il n’était pas top, mais c’était une preuve de concept. » Au fil des ans et des itérations, les vibromasseurs de Robert deviennent de plus en plus léchés. Jusqu’à son dernier jouet qui vibre au rythme de la musique choisie. Un hit, qui remportera un prix (un sextoy bien sûr) dans la catégorie « meilleur groove ».

Panagiotis Alexandropoulos (à g.) et son gode imprimé en 3D, et Robert Ihnatisin présentant son vibromasseur branché rythme.

On rencontrera aussi Rob Blake, hacker passionné par les vibros depuis des années « parce qu’il y a tellement d’objets mal dessinés », déplore-t-il. Il parcourt le monde pour aller aux conférences sur le sujet, comme le festival nomade Arse Elektronika. Son équipe s’affaire à détourner un jouet d’enfant pour en faire une télécommande de vibromasseur très (trop ?) puissante. Prix de la tech la plus ludique pour cet objet à jouer à deux ou en équipe.

John (plus timide, il ne nous donnera pas son vrai nom) souhaite « faire tomber les barrières et les stigmatisations attachées aux jouets sexuels masculins ». En attendant l’équivalent mâle de Sex and The City, qui a popularisé le Rabbit pour une génération au moins, John a une stratégie : il faut d’abord amener les hommes à utiliser des jouets en couple, pour qu’ils se rendent compte qu’il n’y a pas de mal à se faire du bien.

Robot mou sur téton

Une fois les tabous tombés, place au fun. Sarah Wiseman invente une technologie portable, ici sous forme de fermeture éclair, qui permet d’indiquer à votre partenaire si vous partagez son fantasme (elle s’ouvre), sans vous dévoiler s’il ne partage pas le vôtre (elle ne s’ouvre pas). Même principe du côté de John Dior, qui met en place une appli de rencontre basée sur les excentricités sexuelles.

Le sexe se fait expérimental aussi, comme avec Peacock, qui détecte l’humidité vaginale pour déclencher l’ouverture d’un ornement en papier inspiré de la queue du paon – après tout, les hommes ont bien l’érection, justifient les inventeurs. Une jolie métaphore qui remporte le prix du meilleur hack catégorie conceptuelle. Ou bien le Love Pad, gagnant toutes catégories, porté par un équipe de chercheurs et professeurs de Goldsmith et du Royal College of Art. Leur sextoy se déclenche à distance et peut intégrer de l’apprentissage computationnel pour réagir et s’adapter aux goûts de l’utilisateur. Le tout dans un matériau de robotique mou, développé par Caroline Yan Zheng, doctorante au Royal College of Art. Titillez le téton en silicone, et un petit robot mou posé sur la poitrine de votre partenaire se met à vibrer, serrer, pincer.

L’équipe du Love Pad fait les derniers réglages du téton en silicone.

«Fuck the system»

Et si la baise pouvait aussi être politique ? Retour à la table où l’on discute éjaculation féminine. Leur hack, conçu entre autres pour contourner la censure, consiste à associer aux recherches pornographiques les plus fréquentes sur le Net (données que Pornhub adore distiller) les requêtes les plus populaires pour d’autres catégories, et en mélanger les mots clés associés aux images. Une image de porno lesbien (catégorie la plus recherchée) pourrait ainsi apparaître au milieu de photos de Jeremy Corbyn (l’homme politique le plus recherché sur Internet à la même époque).

Corbyn et le porno lesbien.
Carleigh Morgan et Lily McCraith (de g. à dr.), ou le sexe politique du poing levé.

Projet annexe, Ride the Market, Fuck the System, exploite les données financières historiques (la crise des subprimes en 2008, la chute de la livre post-Brexit ou encore la privatisation de la Royal Mail, le service postal anglais) pour les convertir en vibrations et activer un poing imprimé en 3D. Manière d’éprouver la sensation « de se faire baiser par le système ». 

En savoir plus sur la première édition de Sex Tech Hack