Premier arrivé, premier parti. L’Atelier de Beauvais (Oise), premier fablab de France créé par une collectivité territoriale, ferme, un an après son ouverture. Que s’est-il passé? Un projet trop ambitieux, un changement de majorité et un modèle économique balbutiant ont eu raison du projet.
Le 31 décembre, la nouvelle tombe dans la presse locale : en 2016, l’Atelier ne sera plus. Ouvert en novembre 2014, le fablab et espace de coworking aura duré à peine plus d’un an. Pour Edouard Courtial, nouveau président du Conseil général (LR) élu en mars 2015, l’espace numérique ne fait pas partie des compétences du département. Surtout, il estime la fréquentation trop faible (200 personnes par mois tout de même…) pour un coût trop élevé.
L’enthousiasme était pourtant là :
La Youtubeuse #LaetitiaNadji vs Jean-Claude #Juncker, et toute l'influence de #Youtube sur notre société https://t.co/qCvuveZLP1
— SLOOP (@agence_sloop) September 20, 2016
Et les soutiens politiques aussi…
Dans un fab lab mobile de Beauvais avec @yvesrome, prêts à emmener les usages numériques dans les territoires ! pic.twitter.com/aAZu7ePfuw
— Axelle Lemaire (@axellelemaire) February 9, 2015
Du côté de l’ancienne majorité (PS), on reste discret. En off, on regrette tout de même « une décision politique » et on souligne les efforts de l’ancien président Yves Rome pour accompagner la transition numérique dans le département de l’Oise : déploiement de la fibre optique, plan Ordi 60 pour équiper tous les collégiens de l’Oise d’un ordinateur et d’une tablette – opération également abandonnée par la nouvelle majorité… « On voulait montrer que la société de demain sera différente mais qu’il y aura de la place pour tout le monde », défend-on dans le cabinet du désormais sénateur Yves Rome.
300 000€ à la charge du département
Il faut dire que Yves Rome avait vu les choses en grand. Trois imprimantes 3D, deux découpeuses (laser et papier), trois scanners 3D, plusieurs scies, perceuses, machines à coudre… la liste du matériel à disposition donne le tournis. Les plages d’ouverture sont larges, l’accès entièrement gratuit, six employés s’assurent du bon fonctionnement de cet espace de 1000 m2 et le fablab est même parti à la conquête du territoire de l’Oise avec le fablab mobile, en janvier 2015.
En tout, 300 000€ de frais de matériel et d’aménagement, avance le Parisien, pris en charge à 100% par le département. Une bizarrerie : si les collectivités territoriales soutiennent très souvent les fablabs qui s’implantent dans leurs territoires, elles s’allient habituellement à d’autres partenaires.
« L’état des finances que la nouvelle majorité a découvert est désastreux ! », annonçait en juin 2015 le nouveau président du Conseil général, un brin dramatique. David Nouard, son responsable des finances, de la modernisation et du numérique, renchérit : si aucune « décision difficile » n’était prise, le département se serait trouvée dans « une impasse budgétaire ». Tant pis si la majorité des dépenses a déjà été engagée et que le Parisien avance un coût de fonctionnement plutôt faible de 10 000€ – une somme probablement sous-estimée, selon David Nouard. Un an après avoir participé à la conception du fablab, le voici en train de plancher sur son démantèlement.
A la recherche du modèle économique
L’Atelier de l’Oise n’est pas le premier fablab à fermer ses portes : en janvier 2015, Makery interviewait Olivier Chambon, instigateur du Rural lab ouvert en 2013. Comme dans l’Oise, l’appel à projets fablabs du ministère de l’Économie a été l’élément déclencheur, expliquait-il. Malgré des partenariats pour le matériel, il n’avait pu obtenir les subventions nécessaires au bon fonctionnement du fablab et en décembre 2014, l’association décidait de sa dissolution. En février 2015, c’était au tour des Fabriques du Ponant, à Brest, de faire les fonds de tiroir : 50 000€ manquaient, malgré les aides de la région, du département et de la ville.
Depuis janvier, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) a lancé une formation pour aider les fonctionnaires territoriaux et les élus à créer leur fablab, en partenariat avec le fablab du Carrefour numérique. Un succès ! Plus de 50 candidats ont été formés et de nouvelles sessions ont été ouvertes pour faire face à l’affluence d’inscriptions. Trouver des financements, connaître les machines, Frédéric Guigon, le formateur, enseigne aussi aux candidats – notamment des animateurs d’Espaces publics numériques et de médiathèques – à calibrer le budget et revoir leurs prétentions à la baisse : « 1 000€ peuvent suffire », affirme-t-il.
Externalités positives et chômeurs longue durée
Passée la période de montage, difficile de trouver un modèle économique pérenne. « C’est la question à laquelle tout le monde réfléchit », reconnaît Olivier Gendrin, qui chapeaute la création du réseau national des fablabs. Au-delà des revenus d’adhésion, Olivier Gendrin expose quelques pistes :
– Faire participer les entreprises (tout en restant ouvert au public) ;
– Monétiser les externalités positives, par exemple en renforçant les échanges avec les entreprises locales, comme le détaille Movilab (plateforme de documentation des tiers-lieux) sur un wiki dédié à ce sujet ;
– S’inscrire dans l’expérimentation territoriale proposée par le député PS Laurent Grandguillaume pour réduire à zéro le nombre de chômeurs longue durée en leur proposant un CDI dans des activités socialement utiles.
Le réseau fablab peut aussi apporter son lot de réponses, espère Olivier Gendrin. D’abord, en mutualisant les coûts des veilles juridique, technique et financière. Ensuite, en mutualisant le matériel : une coopérative se chargerait de l’achat, de l’entretien et du stock des machines. « Ça permettrait de créer des fablabs temporaires mais aussi d’acheter plusieurs machines en même temps et donc de négocier les prix », explique-t-il.
Éviter l’«effet de mode» fablabs
Le mouvement fablab est encore jeune : en France, c’est Artilect, à Toulouse, qui a ouvert la voie en 2009. Raison de plus pour ne pas tomber dans le piège de l’innovation à tout prix. « Les fablabs sont aujourd’hui un effet de mode pour de nombreuses collectivités, qui “en veulent un” sans avoir réfléchi à ses fonctions et à la façon dont il devra être animé pour atteindre ses objectifs », estime François Bottolier-Depois, directeur de la Fabrique des territoires innovants, un think-tank et « do-tank » qui accompagne les territoires dans l’entrepreneuriat social. Rien d’étonnant, alors, que les subventions s’arrêtent, notamment en cas de changement de majorité. Pour François Bottolier, il faut s’assurer que le fablab est bien ancré dans son territoire : « Un fablab n’a de raison d’exister que s’il fournit des services (formation, entrepreneuriat, production, etc.) pour des acteurs identifiés (individus, entreprises). »
C’est comme ça que Anthony Auffret, des Fabriques du Ponant, a réussi à trouver le budget manquant pour le fablab de Brest – même si stabiliser le modèle économique reste « sportif », concède-t-il. Formation, vente de prestations (à des comités d’entreprises par exemple) et partenariats avec les artisans locaux : le fablab table aujourd’hui sur l’économie sociale et solidaire.
C’est ce qui a permis au 8 fablab, dans la Drôme, de consolider ses subventions, explique sa directrice, Carole Thourigny. Malgré quelques inquiétudes lors du changement de majorité (passée de PS à LR), le département a finalement revu ses subventions à la hausse. « On répond à plein de questionnements : celui du chômage, de la fracture numérique, de la formation en milieu rural. On permet aussi de rendre le territoire plus attractif pour les entreprises qui voudraient investir. »
Pour l’Atelier, rien n’est encore définitivement joué. L’ancienne équipe, restée très discrète face à nos sollicitations, espère relancer le fablab sous forme associative. Du côté du Conseil général, on cherche les pistes de sortie à travers les associations et les universités. Les utilisateurs de l’Atelier, eux, s’impatientent de son retour.
« Je n’avais jamais mis les pieds dans un fablab, je ne savais même pas que ce type de structure pouvait exister. J’ai été ravie de découvrir ce système d’entraide », raconte Sandrine Ledoux, une utilisatrice de l’Atelier. Couturière, elle a « gagné des jours de travail grâce au matériel mis à disposition ». « J’espère vraiment que l’Atelier trouvera un moyen pour ouvrir de nouveau. Et concrétiser notre projet d’y intégrer un atelier de couture par exemple… »