Makery

Rencontre avec Yang Yushiu, maker made in Taiwan

Yang Yushiu, co-fondateur du plus grand makerspace taïwanais et producteur de documentaires sur le mouvement maker. © DR

Le miracle économique taïwanais passe aussi par le DiY. C’est le constat fait par Yang Yushiu, cofondateur de Futureward, un immense makerspace en plein cœur de Taipei.

A Taïwan, l’écosystème maker est en pleine ébullition. En témoigne la pléthore de hackerspaces, fablabs et autres tiers-lieux éclos dans la foulée de la première Maker Faire Taipei en 2013. « Il y a au moins 50 makerspaces à Taïwan, sans doute plus », constate Yahsin Huang, journaliste pour MAKE Taiwan magazine.

Yang Yushiu, entrepreneur social et cofondateur du makerspace Futureward, « le plus grand makerspace taïwanais » selon ses propres termes, est l’un des premiers à avoir senti le vent du DiY souffler sur l’île de 23 millions d’habitants. Cumulant les casquettes, cet ancien chercheur du Taiwan Design Center est également producteur de films documentaires consacrés à l’émergence du mouvement : Design & Thinking en 2011 et Maker en 2014. Makery l’a rencontré pour comprendre comment le mouvement maker participe au succès économique du « miracle taïwanais ».

Futureward, un makerspace de plus de 1000 m2 en plein cœur de Taipei créé en 2014. © DR

D’où vient votre intérêt pour le mouvement maker et pourquoi avoir créé le makerspace Futureward?

Je suis diplômé en design industriel de la National Taipei University of Technology, mais je n’étais pas vraiment maker à la base. J’ai étudié le travail du bois lorsque j’étais au lycée, sans persister. Je n’avais pas non plus prévu de créer d’entreprise au cours de ma carrière ! Le moment décisif a été quand j’ai achevé le film Maker en 2013 et que j’ai rencontré mon associé Daniel Lin. C’est lui qui a eu l’idée de créer cet espace. Lorsque nous avons commencé à travailler dessus, c’était pile le bon moment. C’est pourquoi nous avons pas mal attiré l’attention à Taïwan avec ce projet. 

«Le mouvement maker a un système de valeurs différent de l’approche R&D conventionnelle. C’est un raccourci vers l’innovation.»

L’idée centrale qui me plaît est qu’un maker est avant tout quelqu’un qui fait quelque chose de ses mains. Chaque maker à sa propre approche, unique, pour faire quelque chose. En d’autres termes, ils mettent en pratique ce en quoi ils croient. 

«Maker» (2014), documentaire projeté dans plus de 40 pays depuis sa sortie, bande-annonce :

Selon vous, quelles sont les différences fondamentales entre fablab et makerspace?

Les deux sont guidés par un même esprit, à savoir l’accès public. La définition traditionnelle du maker signifie une personne qui fait quelque chose de ses mains, que ce soit un meuble ou du pain. Mais au XXIème siècle, une époque où Internet domine, la notion de maker prend un sens différent : faire quelque chose de physique avec ses mains, tout en partageant le processus de production et les idées innovantes sur le Web, avant de vendre le produit à échelle internationale.

Prenez l’exemple de l’équipe d’OpenROV. OpenROV est un robot sous-marin open source qui peut être contrôlé à distance pour l’exploration des fonds marins. L’équipe a partagé ses plans avec des gens partout sur la planète pour fabriquer la machine. Vous pouvez reproduire la même machine à l’identique en suivant ces plans. Ou alors, si vous avez une idée pour l’améliorer, vous pouvez partager ces informations en ligne et les aider à compléter les fonctionnalités et les performances du robot. Leur équipe de trois personnes a créé une communauté d’esprit tout autour du monde. Leur minuscule studio a juste une table de travail et à peine assez d’espace pour faire des tests.

L’open source va donc bousculer les modèles industriels? 

L’idée même d’open source vise à faciliter les choses pour que les autres vous copient. Mais l’équipe d’OpenROV pense que la notion de “copie” est une idée dépassée qui appartient aux anciennes générations. Si vous passez par un processus de licence à chaque fois que vous créez quelque chose de nouveau, le temps que vous obteniez la patente, on vous a déjà devancé.

Vous pouvez vous sentir mal à l’aise lorsque vous partagez votre design en open source sur le Web, avoir peur que d’autres volent vos idées. C’est parce que dans le passé, on avait besoin d’investir d’énormes montants en ressources pour la recherche et développement. Mais à l’ère numérique, vous avez juste besoin de quelques personnes pour développer vos nouveaux produits. Et rassembler des idées venant du monde entier, n’est-ce pas le meilleur moyen d’améliorer votre produit ? Comme le dit mon réalisateur Tsai Mu-Ming : “C’est un modèle qui bouscule les modes de pensée conventionnels, mais il se pourrait que ce soit la nouvelle norme du XXIème siècle.”

A Futureward, on travaille la fabrication numérique et aussi l’artisanat du bois, du métal, du textile. © DR

Comment conciliez-vous vos activités de producteur de film et d’entrepreneur?

Pour la réalisation des films, je travaille en équipe. Je les produis et collabore avec l’équipe de réalisation de Muris Media. En ce qui concerne le makerspace, j’en suis le cofondateur. Pour moi, la production de films et le makerspace sont les deux faces d’une même pièce. Ils sont complémentaires l’un de l’autre. 

Lors des projections du documentaire Design & Thinking, on me demandait très souvent “Quel sera le thème de votre prochain film ?”. A force, j’ai fini par demander au public : “Et vous, qu’en pensez-vous ?”. La réponse “Make” revint si fréquemment que j’ai commencé à en parler au réalisateur Tsai Mu-Ming et à l’équipe de production de Muris Media à Taïwan. Tsai Mu-Ming a souhaité traiter le sujet du point de vue taïwanais. Il souhaitait explorer l’impact de cette nouvelle tendance dans un pays dont l’économie est dominée par l’industrie manufacturière.

Le mouvement maker est né aux Etats-Unis, un pays où justement cette industrie est désormais chancelante. Notre question était donc “Comment créer un nouveau mode de vie avant la disparition de cette industrie ?” et d’aller observer ce qui se passe sur place. L’autre point de vue du film était de démontrer que les makers ne sont pas des geeks bricolant d’obscures machines dans leur garage ou dans leur chambre. L’équipe est ainsi partie aux Etats-Unis pour interviewer des makers à travers tout le pays et rendre compte du mouvement.

A la fois makerspace et espace de coworking, Futureward mise avant tout sur l’éducation. © DR

Quelle est la dernière chose que vous avez fabriquée?

Une petite voiture télécommandée. Vous partez de rien. Vous avez juste des petites pièces détachées et des instructions compliquées. Vous créez une version virtuelle en 3D de la voiture dans votre esprit et vous commencer à la construire avec vos mains. Vous rassemblez les pièces, serrez les écrous et regardez la voiture commencer à bouger. “C’est comme donner naissance à un enfant, c’est magique” comme le dit Tsai Mu-Ming.

Le site du makerspace Futureward

Le site du film «Maker»