Dessiner, c’est jouer: «Flippaper» est le prototype d’un bon vieux flipper sur lequel on greffe un dessin. Scanné, il devient le parcours de la balle. Conçu par Jérémie Cortial et Roman Miletitch, il s’expose au festival numérique Numok des bibliothèques de Paris.
Régressif ou futuriste ? Flippaper est un flipper à dessiner avant de le jouer. Régressif pour le plaisir pas forcément coupable de retrouver les sensations du bon vieux flipper, ce jeu électronique qui a d’une certaine manière ouvert la voie au jeu vidéo (le premier de l’arcade, la borne elle-même étant l’ancêtre du jeu vidéo sur Playstation et autres Xbox du jour). Et futuriste pour le mélange qu’il opère entre le dessin physique (avec gros feutres rouge, vert, bleu) et le parcours de la balle à l’écran.
Flippaper a déjà une bonne grosse dizaine de sorties à son actif, « dans des états variés » explique à moitié sérieux Jérémie Cortial, l’un des concepteurs de cette borne qui marie jeu collectif et dessin. Depuis le tout premier prototype en 2013 jusqu’à la version actuelle, présentée il y a peu au Point éphémère à Paris dans le cadre du festival de BD déviante Formula Bula, et à l’honneur cette semaine à la bibliothèque Italie (le 21/10) dans le cadre du festival Numok à Paris, Flippaper s’est émancipé de son côté bricolo rétrogeek DiY.
Il est désormais presque clean, avec sa coque carénée en métal, bois, et mastic polyester (néanmoins poncée main). Le hard comme le software ont été peaufinés pour un usage fonctionnel (ça marche avec n’importe quel dessin, gribouillis comme vraie illustration). Le dessin est scanné grâce à un miroir réfléchissant sur le haut de la borne, et le PC à l’intérieur de la machine n’a plus qu’à transformer immédiatement les couleurs en parcours, avec fonctions afférentes : vert pour « speed », rouge pour « bump » et bleu pour « mur ». Le programme, lui, a été écrit en C++ par Roman Miletitch.
Mais si le Flippaper impressionne par son design léché, il reste bel et bien un prototype, puisqu’à l’état d’unique exemplaire. Ses promenades de manif en festival lui donnent un peu de visibilité même s’il est toujours un peu décalé : il ne relève pas vraiment de la BD dans un festival de dessin, il ne rentre pas dans la case œuvre d’art ni dans celle du jeu vidéo…
Le Français Jérémie Cortial, 37 ans, artiste, co-fondateur du collectif sérigraphique Elshopo, et le Belge Roman Miletitch, 29 ans, chercheur en intelligence artificielle, se sont trouvés un terrain d’entente pour développer ce projet entre dessin et jeu, analogique et numérique, art et design, et ont réussi à faire du Flippaper un parfait outil convivial et ludique, qui plaît aux enfants mais aussi à tous les nostalgiques du tilt et amateurs de jeu vidéo.
La simplicité apparente du dispositif est le fruit de deux ans de travail. On dessine sur une grande feuille de papier posées à la place de l’écran du flipper avec trois gros feutres vert, rouge, bleu. On appuie sur le bouton « Scan » et on joue son parcours aussitôt. En sous-position des traits, une balle de flipper rebondit, disparaît ou se démultiplie en fonction des traits dessinés. « Selon la forme des dessins, on peut créer un langage plus ou moins complexe et programmer un gameplay, un vrai parcours de jeu qui n’est pas que magique et gadget », explique Jérémie Cortial.
Un proto à 7000 euros
Le proto a été soutenu par des institutions (le Scan, soutien à l’art numérique de la région Rhône-Alpes) et des centres d’art et festivals défricheurs du type Retro (no) future games festival (à Cergy-Pontoise en octobre 2013) et Eniarof, la fête foraine déviante (Aix-en-Provence, novembre 2013). Il a coûté « environ 7000 euros » réfléchit à voix haute Jérémie (mais l’investissement en temps des deux créateurs n’est pas comptabilisé dans l’équation…).
Les deux concepteurs sont loin d’en avoir fini avec Flippaper : « Le programme évolue en permanence, on aimerait que la couche de programmation supplémentaire soit accessible en Processing (un langage de programmation plus « abordable » que C++, Ndlr) de manière à l’ouvrir à d’autres développeurs, poursuit Jérémie Cortial. Pour d’autres softs, qui ne seraient pas forcément un flipper, pour des ateliers… Et pourquoi pas proposer un kit de développement pour que chacun ait sa propre appli ?»
Flippaper à Paris, 21 octobre, Bibliothèque Italie, festival Numok, 14h30-17h30 (gratuit)