«On est ici depuis le 15 août, ça va être terrible de retourner à la vie normale.» À quelques heures de la fermeture de POC21, ce campement de l’innovation à mi-chemin entre vie de château et camping improvisé, nous sommes allés voir les solutions des éco-hackers pour la transition.
« En cinq semaines, on a avancé autant que ce qu’on aurait pu faire en cinq ans ! » assure le Finlandais Jason Selvarajan, qui n’a pas dormi depuis quatre jours pour pouvoir finir à temps le prototype de Showerloop, une douche équipée pour filtrer et réutiliser immédiatement l’eau consommée.
Douze projets ont été sélectionnés en amont de POC21, un camp d’écologie climatique qui a mobilisé une centaine de personnes pendant cinq semaines au château de Millemont, près de Paris. Les équipes, internationales, y ont profité de l’expertise de mentors, spécialistes du design, de l’ingénierie ou de l’élaboration de modèles économiques pour parvenir à faire vivre ces projets élaborés en open source, et qui faisaient l’objet d’une exposition publique de finissage, les 19 et 20 septembre.
À côté de Jason, Mauricio Cordova développe FairCaps, un bouchon à 1 dollar à fixer sur les bouteilles d’eau pour purifier l’eau non potable. Il n’hésite pas à pousser plus loin son enthousiasme : « Pendant cinq semaines, on a tout construit, depuis les douches jusqu’aux toilettes, en passant par la cuisine. On ne peut pas mesurer l’effet que ça fait de se retrouver à faire la vaisselle avec des ingénieurs hyper talentueux, de régler des problèmes d’évacuation des toilettes avec des types spécialisés dans l’économie collaborative, de peler des pommes de terre à la même table que des experts de la fabrication numérique… C’était ça aussi, POC21 ! »
« Avant, on n’était pas tellement dans l’open source »
Le projet Sunzilla, développé par cinq jeunes ingénieurs allemands, est un système de panneaux solaires modulaires et pliants de taille réduite, suffisamment puissant pour pouvoir remplacer les groupes électrogènes souvent employés dans les festivals, bruyants, polluants et chers.
« A Berlin en décembre, nous avons entendu parler de POC21, explique Joscha Winzer, imperméable jaune et cheveux blonds. C’est là que nous avons imaginé la première version de Sunzilla. » Leur projet assez technique n’était pas suffisamment userfriendly. « Ici, on a eu l’aide de certains designers des autres équipes pour améliorer l’ensemble. » Une vingtaine d’experts sont venus prêter main forte aux équipes, sur des points techniques, du design ou même sur des questions de business modèle dans des logiques d’open source. Sur ce point, l’équipe de SunZilla avait apparemment tout à apprendre : « En tant que jeunes ingénieurs, on ne veut pas bosser pour une grosse entreprise. On savait qu’on voulait concevoir des projets modulables, contributifs, mais on n’y connaissait rien en open source. On ne voulait simplement pas mettre de brevet là-dessus, on faisait de l’open source sans le savoir. »
Après cinq semaines au château de Millemont, ils ont documenté leur projet et détaillé précisément les principes techniques de leur dispositif. L’un des enjeux est « de faire comprendre aux utilisateurs combien d’énergie ils consomment, par rapport à ce qu’ils peuvent produire avec des panneaux solaires comme ceux-là. » L’équipe a développé une application mobile pour rendre plus lisible les flux d’énergie. « La suite de ce projet est entre les mains de ceux qui voudront s’en servir », explique Joscha.
L’éolienne à 30€ : « Les Creative Commons, je m’en fous »
Daniel Connell vient de Nouvelle Zélande, même s’il passe son temps en Allemagne ou en Écosse. L’éolienne qu’il a fabriquée peut produire 1kW d’énergie sous un vent de 60km/h. Il travaille sur ce projet depuis bientôt dix ans : « J’ai commencé à imaginer un traqueur solaire, puis une éolienne, et à me demander comment fabriquer ce type de systèmes avec le plus de récup’ possible et le plus simplement possible. Je n’avais aucune idée de ce dans quoi je me lançais. Je travaillais n’importe où, n’importe comment, tout seul, et sans financement parce que je ne voulais pas m’encombrer de ça. »
Daniel travaillait uniquement avec une perceuse, un cutter et une riveteuse : « Honnêtement, je n’avais jamais pensé que les machines numériques pourraient m’intéresser. Quand j’ai vu à POC21 que c’était possible de découper les panneaux en aluminium en moins de 20 minutes à la CNC alors que ça me prend trois heures à la main, j’ai tout de suite compris le changement que ça induit pour le projet. »
Son éolienne était déjà quasiment fonctionnelle à son arrivée à POC21. L’aide des spécialistes n’a que peu intéressé Daniel, pour qui la diffusion des plans et des notices de fabrication de l’éolienne sur le Web est suffisante. « Je ne sais même pas ce que c’est que les Creative Commons, et je m’en fiche pas mal. Je veux juste que les gens puissent fabriquer facilement des éoliennes. L’idée, c’est aussi d’en fabriquer pour d’autres, de proposer des ateliers et d’inventer de nouvelles manières de gagner de l’argent. C’est ce que je fais déjà. Si d’autres m’imitent, ça pourra leur permettre de quitter au passage les jobs merdiques qu’ils occupent. »
Le design à l’épreuve de l’open source
A POC 21, certains projets cherchent à ressembler à de vrais produits et pourraient être tentés de gagner les territoires lucratifs du marché classique… C’est le cas du projet Kitchen B ou Biceps Cultivatus. Porté par quatre designers fraîchement diplômés, il combine quatre fonctions pour l’autonomie alimentaire et énergétique : la bioponie, la conservation sans énergie des fruits et légumes, le compostage et le robot mécanique.
Le résultat a la forme de meubles et systèmes conçus dans un joli bois, impeccablement installés sous la tente de démonstration. « Il fallait que ce soit reproductible par des gens qui n’ont pas forcément nos compétences et qui doivent pouvoir trouver de quoi le refaire dans un magasin de bricolage, explique Audrey Bigot. Le coût pour les trois modules pourrait s’élever à 1 000 €, mais c’est une estimation. »
Pendant POC21, le groupe a fait évoluer le projet, choisissant la bioponie plutôt que l’aquaponie, explorant les possibilités du lombricomposteur, etc. Mais s’est heurté à une question plus fondamentale : « En tant que designer, notre métier c’est de faire des objets. Si ces objets sont en accès libre, comment on se rémunère ? » Grâce aux rencontres et aux débats organisés pendant les cinq semaines de POC21, Audrey semble avoir trouvé quelques éléments de réponse. « On veut être dans la recherche, tout mettre en accès libre, avec des notices sur chaque système technique, notamment sur les principes de conservation des aliments. Mais si un jour il faut adapter ce projet pour d’autres usages ou d’autres contextes, nous serons là pour apporter notre expertise. »
Le groupe n’exclut pas non plus de « faire du consulting » sur la cuisine de demain et d’imaginer des projets du même genre qui pourraient être produits industriellement. « On sait très bien que madame Michu ne refera jamais notre projet. Mais si c’est vendu en kit chez Ikea ou Castorama, ce sera peut-être envisageable. Il faudra donc faire des compromis. »
Nul doute que ces débats sur le futur des objets et systèmes peaufinés pendant POC 21 ont animé les longues journées dans le château. Même si les projets présentés sont fonctionnels et bien documentés, l’open source n’est peut-être pas accessible si facilement. Il faudra encore adaptations ou compromis pour qu’ils intègrent le quotidien des milliards de madames Michu qui peuplent notre planète. Reste à mettre ces POC fonctionnels à l’épreuvre du réel.
En savoir plus sur les 12 prototypes de POC21 en images et en détail sur le site dédié