Makery

Nicolas Huchet voit l’avenir des prothèses ouvert(es)

Nicolas Huchet, l'icone des makers, en novembre 2014 au pop'up lab de Makery. © Quentin Chevrier

Avec sa prothèse DiY Bionicohand et son prix du MIT, Nicolas Huchet est l’un des meilleurs ambassadeurs du mouvement maker. Alors que son dernier projet, Handilab, concourt au Google Impact Challenge, c’est à São Paulo que nous l’avons rencontré cet été.

Nicolas Huchet avec la prothèse d’OpenBionics. © Guillaume Chatelier

Makery s’est fait plusieurs fois l’écho de projets de prothèses amateurs développées dans les fablabs en suivant les principes de l’open source. Aujourd’hui de nombreux projets existent qui offrent des prothèses performantes, peu chères, à fabriquer localement dans des labs, à destination des quelque 11 millions de personnes amputées d’une main dans le monde. Le Français Nicolas Huchet, distingué par le célèbre Massachussets Institute of Techonology (MIT) de Boston, revient pour Makery sur son parcours. 

Commençons par l’actualité chaude du moment : vous êtes finaliste du concours Google Impact Challenge France, de quoi s’agit-il ?

L’association My Human Kit que j’ai créée participe au concours Google Impact Challenge France, dont le prix pour le gagnant s’élève à 500 000 €. Nous y défendons le projet Handilab, un fablab un peu différent car doté d’une spécificité liée au handicap. Il n’est pas réservé aux seules personnes touchées par un handicap, mais il dispose en son sein d’une personne ressource qui connaît bien le monde du handicap et qui pourra aider à fabriquer, monter ou réparer des prothèses open source. L’objectif est de développer une prothèse peu chère, facilement réparable et que l’on peut monter soi-même ou collectivement avec d’autres membres au sein de ce handilab.

My Human Kit développe aujourd’hui une prothèse open source dont on imprime certaines parties via des imprimantes 3D. On trouve dans les fablabs des personnes motivées qui échangent, participent, partagent. C’est plus difficile de trouver des spécialistes des prothèses, mais c’est un des enjeux auxquels répond le projet des handilabs. Notre prothèse Bionicohand est ouverte, encore à l’état de prototype, mais en évolution rapide. Comme les projets en finale sont soumis aux votes des internautes, vous pouvez soutenir le nôtre sur le site d’Impact Challenge !

Pouvez-vous revenir sur votre parcours et le projet Bionicohand ?

A 32 ans, je suis un des porteurs de Bionicohand, un projet collaboratif de prothèse open source. En 2002, à la suite d’un accident du travail, j’ai été amputé de l’avant-bras. A l’époque, il n’y avait sur le marché qu’une seule prothèse de main. Les premières expérimentations de prothèses robotisées étaient des projets naissant dans les laboratoires. Dix ans après sortent sur le marché des prothèses plus évoluées qui permettent par exemple de manœuvrer tous les doigts. Contrairement à celle que je porte quotidiennement, qui coûte déjà 9 000 euros, ces nouvelles prothèses coûtent entre 30 000 et 90 000 euros et ne sont pas remboursées, même partiellement, par la sécurité sociale. J’aimerais posséder de telles prothèses, mais elles sont beaucoup trop chères. 

La prothèse Bionicohand. © Quentin Chevrier

Comment avez-vous découvert les fablabs ?

Par hasard ! Grâce à des amis qui travaillaient pour une exposition à Rennes dédiée à la vidéo et aux arts numériques. Etait invité le LabFab, le fablab de Rennes, qui exposait des imprimantes 3D, des cartes électroniques, des robots. En voyant les imprimantes 3D, j’ai demandé s’il était possible d’imprimer une prothèse. Hugues Aubin m’a répondu qu’ils n’avaient jamais essayé, mais qu’ils pourraient tester. C’est à ce moment-là qu’il a évoqué le projet HandiLab de création de prothèses open source. 

Quelque temps après, je me rends au LabFab où des membres avaient déjà testé l’impression d’une main en plastique. Le résultat n’était pas vraiment utilisable. Nous avons découvert sur le site de partage de fichiers 3D Thingiverse une main robotique très avancée qui pouvait servir de base. Cette main fait partie du projet Inmoov porté par Gaël Langevin, un robot dont l’intégralité des pièces sont publiées dans des licences libres. Cette base permettait de lancer véritablement le projet.

Comment Bionicohand a-t-il évolué ? 

L’équipe du LabFab a commencé à travailler sur les différents modules du projet : la main en elle-même, la mécanique, les capteurs musculaires, le code Arduino pour mouvoir les doigts, etc. Au tout début, j’ai apporté ma « compétence d’amputé », aussi bien sur les explications, le fonctionnement des prothèses, mais aussi en terme d’usage. Fin juin 2012, lors de la fête du Numérique de Rennes, la première version de la main est fonctionnelle, le capteur musculaire à bas coût fonctionne correctement.

Toute l’équipe est très heureuse d’être arrivée à ce niveau. Mais ça reste un prototype, même s’il est très prometteur. En tant qu’« utilisateur » qui dépend d’un tel objet, on en rencontre très vite les limites. La pression exercée n’a pas de retour, la vitesse d’exécution est lente, la résistance des matériaux utilisés est trop faible. Durant cet évènement, les équipes de la première MakerFaire Rome sont présentes et invitent le projet à participer. Cet événement lance réellement Bionicohand. Pendant l’été, John Lejeune, le fabmanager du LabFab, me prête son imprimante 3D. Je lance de nombreuses impressions, je me forme sur le tas en électronique, à l’usage de logiciels 3D, à l’impression 3D…

Comment se positionne Bionicohand vis-à-vis des autres projets open source du même type ?

Il existe un projet assez similaire, lui aussi open source, OpenBionics.com, qui est un peu plus avancé. Le projet a bénéficié d’un premier appel de crowdfunding auquel j’ai participé pour acheter la prothèse en version 1. C’est également un prototype prometteur, qui n’est pas non plus utilisable au quotidien. Nous sommes en contact, comme avec ce Brésilien qui développe une main bionique basée elle aussi sur Inmoov. Chaque fois que je me rends dans de nouveaux lieux type fablabs, makerspaces, je parle du projet, j’essaie de donner envie et de faire collaborer les gens. Il y a aujourd’hui de nombreuses équipes qui travaillent sur des prothèses ouvertes.

Nicolas Huchet en conférence cet été à São Paulo. © Fabien Eychenne

Selon vous, est-il envisageable qu’un fablab parvienne à réaliser une prothèse utilisable tous les jours ou bien les labs sont-ils cantonnés au prototypage ?

Aujourd’hui, ça me paraît difficile. Il va falloir suivre l’évolution des fablabs en terme de matériaux utilisables, de machines disponibles et de compétences acquises. Un des objectifs est de rendre les prothèses peu chères et facilement fabricables. Pour l’instant, imprimer du titane c’est très bien, mais le coût est très élevé.

«Un fablab ne doit pas être uniquement vu comme un espace pour développer des solutions techniques et technologiques. Ma vie a changé avec mon handicap. J’ai un problème physique, mais dans le lab, avec la communauté, ma limitation est devenue ma motivation.»

L’innovation sociale en marche dans les fablabs est centrale. Ce n’est pas le résultat qui importe le plus. Mais le cheminement, la prise de décision, la capacité de réaliser des choses par soi-même avec les membres du fablab. Avec Handilab, nous voulons développer l’innovation sociale du projet, qui propose de donner accès à un fablab pour travailler sur sa prothèse, mais surtout pour se sentir bien. Reprendre confiance en soi en tant qu’amputé, voir sa limitation comme une opportunité, est tout aussi important. Se sentir à sa place dans la société est un des enjeux. Ce qui m’est arrivé peut arriver à de nombreuses personnes.

Peut-on imaginer que la prothèse open source se professionnalise ?

Au LabFab, le panel de compétences est très large mais des compétences spécifiques au handicap comme des orthoprothésistes sont beaucoup plus rares. Le Fab Lab Berlin a reçu des financements du leader mondial Ottobock. Ces professionnels de la prothèse (dont est issue celle que je porte) souhaitent développer des relations avec le monde des makers. C’est une piste intéressante. On va essayer de faire des choses ensemble. J’ai également eu des discussions avec de nombreux laboratoires de recherche et d’entreprises spécialisées en prothèses. S’ils connaissent l’impression 3D, ils savent qu’aujourd’hui, il est difficile de proposer des produits performants et assez robustes avec cette technologie. 

Vous êtes devenu une icone des makers, en faisant la couverture de Make Magazine, en recevant un prix du MIT ou en étant présent dans les grands médias (le Monde vous a récemment consacré un portrait par exemple). Que vous a apporté cette notoriété ? 

La médiatisation m’a apporté beaucoup de contacts de makers, d’entreprises, mais aussi de personnes qui ont besoin d’une prothèse. Et j’ai pu approcher les nombreuses initiatives type E-nabled, Limbitless, Advancer Technologies (capteurs musculaires), Openbionics.com, Openbionics.org. Des projets naissent dans des fablabs comme à Tours. Elle a également rendu visible et renforcé l’importante communauté ouverte d’amateurs éclairés.

Au Labfab de Rennes, en août 2014. © Paule Tocher

Qu’en pensent les prothésistes professionnels ?

Les orthoprothésistes s’intéressent déjà à l’impression 3D et au scan 3D. Protéor m’a ainsi contacté dès le début de l’aventure. Ottobock souhaite développer des relations avec le monde des makers. Les approches radicales des labs les intéressent. Faire des prothèses moins chères pour toutes les personnes qui ne peuvent se les payer est aussi intéressant pour eux.

Jusqu’ici, Bionicohand publie toutes les avancées du projet sous licence libre. Comment cela va-t-il évoluer ? 

C’est évidement une question. Nous avons vu comment Makerbot, éditrice d’imprimantes 3D open source à sa création, est passée de l’ouverture à la fermeture de ses modèles et a dû se fâcher avec une partie de sa communauté. Je ne pense pas que l’open source soit une fin, mais plutôt un moyen, un outil qui permet la collaboration à grande échelle.

«Je souhaite développer une prothèse modulaire. Comme une plate-forme où la base reste open source, à laquelle on peut ajouter des modules qui pourraient ne pas l’être. Je pense à quelque chose proche de la distribution Linux Ubuntu qui est libre et open source, mais qui permet également d’utiliser certains logiciels fermés.»

Rien n’empêche de penser que demain, des entreprises proposent des modules vendus sur Amazon, qui bénéficieront à l’écosystème. Par contre, je veux que les gens puissent le faire eux-mêmes, que cette ouverture soit maintenue. Et s’ils éprouvent des difficultés pour la construire, qu’ils puissent se rendre dans un fablab pour la monter, la réparer, la bricoler, voire l’améliorer avec d’autres personnes. C’est l’idée au cœur du projet des Handilabs. Il faut garder ce coté DiY (faire soi-même) ou DiwO (faire avec les autres).

Quelle serait la prothèse du futur selon vous ?

Une prothèse basée sur le principe du projet ARA, le téléphone modulaire de Google, pourrait être la prothèse du futur. On pourrait facilement ajouter ou enlever des modules en fonction des situations, passer d’un système myoélectrique (avec des capteurs musculaire électriques) à un système mécanique (juste avec un harnais) en cas de problème.

La prothèse du futur doit être abordable financièrement. Dans des pays comme la France, les systèmes de santé prennent en charge des prothèses assez évoluées qui atteignent 10 000 euros. Ce coût énorme n’est pas accessible à une grande majorité de l’humanité. Grâce aux futurs Handilabs, les prothèses pourraient être accessibles à des coûts très bas et que les utilisateurs s’impliquent dans la construction et la réalisation de leur prothèse. 

Ma rencontre avec un fablab a changé ma vie. Même si le projet s’arrêtait aujourd’hui, il aura constitué une expérience formidable. Réaliser les choses par soi-même donne du sens à ce que l’on fait, à ce que l’on est. On prend conscience que l’on peut changer les choses, on rencontre de nouvelles personnes pour faire ensemble. J’aimerais que cette expérience soit partagée. 

Soutenir Bionicohand dans le cadre du concours Google Impact Challenge