Montréal, eldorado des nouvelles technologies depuis les années 1990, a l’avantage d’être bilingue, peu chère et accueillante. Après les studios de jeu vidéo, ce sont les makerspaces et hackerspaces qui émergent. Reportage dans la métropole québécoise, à mi-chemin entre l’Europe et la Silicon Valley.
Montréal, envoyée spéciale (texte et photos)
Comment fabriquer ses prototypes une fois diplômé ? Où trouver des mentors pour un geek passionné n’ayant pas encore atteint la majorité ? A Montréal cohabitent quatre universités (deux anglophones, deux francophones) qui forment ingénieurs et informaticiens prêts à lancer leur start-up avant même d’obtenir leur diplôme. Qui cherchent des lieux pour se professionnaliser en dehors des circuits d’embauches traditionnels. Pour répondre à ces besoins, sont nés, avec ou sans subvention, avec ou sans le soutien des universités, les lieux qui font la makersmanie de Montréal aujourd’hui. Tour d’horizon.
Foulab, le hackerspace initial
Plus vieille institution de ce genre à Montréal, le hackerspace Foulab s’est installé il y a une dizaine d’années dans le quartier Saint Henri, pas très loin de l’Ecole de technologie supérieure (l’équivalent des Arts et Métiers) et du fablab Echofab (lui aussi un pionnier, estampillé MIT, installé dans le quartier de l’innovation).
Cette ancienne usine aux fenêtres cassées et à l’ambiance désaffectée est d’une discrétion étonnante. A l’intérieur, des fils nus sortent des plafonds, des bruits d’ateliers fantômes se font entendre du fond des couloirs… Je croise des ouvriers qui sortent des ateliers d’ébénisterie, leur demande mon chemin, mais aucun ne connaît le Foulab. Et tout le monde m’assure qu’il n’y a pas de réseau wifi dans l’immeuble. Je tombe finalement sur l’entrée du lab… qui restera porte close.
Je parviens à joindre plus tard, par téléphone, Alexander Somma, mon interlocuteur hacker. Réservé, il explique que son hackerspace sert d’abord à mettre en commun les connaissances et les idées de la communauté. L’illégalité? Connaît pas ! Les hackers de Foulab sont de gentils curieux.
Foulab est aussi un espace de discussions sur les thématiques qui entourent le renseignement, l’internet libre, la pensée hacker… Leur journée « Expulsion des machins inutiles » permet de mettre en commun tous les composants électroniques imaginables et de les recycler. Autre projet récemment réalisé : les tweetos du compte @tweletype de Foulab sont imprimés sur le terminal TI-745 du hackerspace, une imprimante de 1964 ayant appartenu à la Nasa ! Défier l’espace-temps ? Voilà une noble ambition scientifique.
Foulab, Suite 33B, 999 du Collège, Montréal, Canada, ouvert tous les mardis à partir de 20h
Helios, jeune makerspace fourni
Helios est un jeune makerspace né il y a 20 mois, situé lui aussi dans le quartier Saint Henri. Il met à la disposition de ses adhérents, contre 40 ou 50 dollars canadiens par mois (27 à 34 euros), un atelier bien garni : 2 imprimantes 3D, une station électronique, un oscilloscope, un générateur de fonctions, un fer à souder, une machine à coudre le cuir, une table à scier, une découpeuse laser, une perceuse à colonne, une scie à onglet, un tour à bois, une sableuse tambour, un meuble d’établi et même un tour à métal.
Les quinze bénévoles qui animent l’endroit sont, pour la plupart, d’anciens étudiants de l’université Concordia et peuvent accéder en tout temps à l’atelier ; ils accompagnent les adhérents et les conseillent sur les machines. Le projet ayant d’abord été incubé pendant quatre mois au d3center de l’université Concordia, il a bénéficié de subventions de la ville et du quartier Sud-Ouest pour prendre son envol.
Son fondateur, le jeune ingénieur Lambert Le, est persuadé que Saint Henri deviendra le quartier des makers : « Nous sommes encore dans l’enfance de cette organisation que j’ai fondée avec quatre autres personnes et 20 000 dollars de capital. Nous ne rentrons pas encore dans nos frais mais je suis persuadé que notre modèle est viable. »
Convaincu que la communauté des makers doit prendre en charge la transmission de l’apprentissage des outils (qui se fait de moins en moins à l’école, les cours de technologie de troisième se faisant remplacer par d’autres cours), Lambert Le croit aussi à de futurs partenariats entre son makerspace et les écoles du quartier.
Helios Makerspace, 137 Rue Saint-Ferdinand #270, Montreal, du mercredi au vendredi de 13h à 21h, le samedi de 13h à 20h pour les membres, le jeudi soir pour tous de 16h à 21h.
d3Center, incubateur et makerspace
Au centre-ville de Montréal se trouve l’incubateur de start-up District 3 Innovation Center. L’espace, grand, lumineux, est fourni gracieusement par l’université Concordia ; au même étage se trouve une médiathèque réservée aux doctorants en Arts.
J’y rencontre Sydney Swaine-Simon, un ingénieur diplômé de Concordia qui fait aujourd’hui partie de la team salariée du d3center. L’ambition du centre : héberger des start-ups à fort potentiel, jusqu’à leur épanouissement total… ou leur échec. Sweat à capuche orange, Sydney se présente comme un coach : on pourrait l’imaginer en train d’entraîner une équipe de foot, mais il encadre surtout des jeunes startuppers.
« Montréal est la ville parfaite pour lancer son entreprise, même si les accélérateurs se trouvent plutôt à Toronto », dit-il. La vingtaine de start-ups installées au d3center concentrent de jeunes entrepreneurs d’une vingtaine d’années. Leur potentiel économique est estimé à 35 millions de dollars canadiens (23 millions d’euros). On y trouve de tout, de l’e-panneur, des courses en ligne et livraisons, au modéliseur de soutien-gorges sur mesure Stefanka, en passant par une petite batterie d’urgence portative permettant de charger son portable pour 45 mn d’utilisation…
Juste à côté de ce grand plateau se trouve un makerspace. Tous les startuppers y ont accès. On y croise par exemple les ingénieurs d’Heddoko qui travaillent sur des vêtements intelligents pouvant capturer tous les mouvements du corps.
Le matériel, l’espace et l’encadrement sont fournis gratuitement par l’université, en échange de futures interventions (non obligatoires) et de monitoring de la part de ces entrepreneurs en herbe. L’université cherche ainsi à s’impliquer dans la communauté montréalaise et à participer activement à son économie.
Par ailleurs, des ateliers et des cours sont donnés tout au long de l’année universitaire, dont un atelier « How to make something » inspiré du fameux cours du MIT, « How to Make (almost) Anything », donné par des professeurs bénévoles comme Marc-André Léger (on y revient).
d3center makerspace, 1250 Guy Street, Suite 600, Montréal
Retrouvez ces trois labs montréalais et leurs voisins sur la carte Makery.