A Linz, le tour du monde des labs en mode crashtest
Publié le 8 septembre 2015 par Annick Rivoire
Pour répondre à l’invitation du «crash de l’info» STWST48 à Linz, en marge de l’Ars Electronica festival, Makery s’est lancé dans un marathon des labs: 48 heures de rencontres en réseau avec 13 labs de 11 pays sur 4 continents.
Linz (Autriche), envoyée spéciale
Un « big hit ». C’est ainsi que l’Ars Electronica qualifie l’édition 2015 du plus gros festival au monde dédié aux nouveaux médias, qui s’est tenu à Linz du 3 au 7 septembre. Record de fréquentation (92.000 visiteurs) et avalanche d’événements (« 482 événements, 946 artistes, scientifiques et activistes », dixit les organisateurs). Plus c’est gros, plus c’est beau ?
Impossible pour Makery d’affirmer que l’Ars Electronica n’est plus qu’un mastodonte d’infobésité et ce, pour deux raisons : l’équipe de Makery était partie prenante d’une programmation quasi contraire et néanmoins intégrée dans les chiffres ci-dessus, STWST48. Et notre « marathon des labs » nous a littéralement empêchés de vérifier l’intérêt desdites propositions.
En résumé, n’espérez pas lire un compte-rendu objectif ou exhaustif de l’Ars Electronica 2015. Certes, le peu de ce qu’on a vu de la programmation officielle ne nous a pas convaincus d’avoir raté grand chose… Technofétichiste depuis ses origines (1979), l’Ars Electronica adore le mélange art-science et installations gigantesques, mais sait néanmoins fédérer programmateurs, activistes, artistes et grand public dans sa programmation ramasse-tout (cette année, la Post-City).
STWST, grain de sable dans la grande parade techno
C’est d’ailleurs en réaction au gigantisme technobéat de l’Ars Electronica que Franz Xaver et Shu Lea Cheang ont imaginé cette première édition de STWST48. Une posture de trublion qu’on repère assez facilement dès l’arrivée à Linz : l’immeuble baroque qui abrite le Stadtwerkstatt (STWST), est littéralement coincé entre l’Ars Electronica Center, le musée du futur de Linz (immense bâtiment dont les parois en verre se colorent la nuit) et la pente douce du FutureLab (du même Ars Electronica), le parvis avec terrasse donnant sur le Danube.
Et le centre autogéré par des artistes punks et hackers, créé en 1979 (en même temps que l’Ars Electronica…), qui comprend un bar, deux salles de concert et des résidences d’artiste à la programmation pointue, est de facto le centre névralgique de Linz pendant son festival techno.
Ce que l’équipe de Makery a pu vérifier entre deux sessions d’interviews de labs du bout du monde : samedi soir, sous les toits (espace des bureaux et de la cuisine abritant le catering), artistes et activistes se mélangeaient joyeusement à des programmateurs et directeurs d’institutions (Pixelache, FACT, Lieu unique, Waag Society…) dans une ambiance de contre-soirée internationale (la cuisine de l’Ars Electronica ???). On a identifié des Slovènes, un Croate, des Finlandais, des Allemands et Autrichiens, des Britanniques, des Français, des Japonais, des Américains et des Canadiens.
L’info dans tous ses états
STWST48, « Crashing the Information in 48 hours », a proposé du 4 au 6 septembre (de 17h à 17h) une programmation en quatre volets : Infolab (dépasser la société de l’information), Infodetox (fruit des résidences artistiques sur le bateau Eleonore), Infocrash (dont le « Tour du monde des labs en 48 heures » de Makery) et Crash the Future côté programmation musicale. Alors c’était comment ?
Côté Makery, quasi toutes les deux heures, un rendez-vous était fixé avec des fabmanagers, des makers et autres hackers (voir la carte de l’événement). La constante ? Une envie de partager l’énergie du mouvement maker à travers la visite de leurs locaux, la présentation de leurs projets, des mini-démos via Skype voire des streams audio au thérémine ! Partout, de San Francisco à Tokyo en passant par Amiens, Ljubjana, Glasgow ou Barcelone, le même état d’esprit ouvert, un engagement pour le « faire » soi-même (DiY), avec les autres (DiwO), le bricodage créatif et ces nouvelles façons de travailler, innover, inventer, qu’il s’agisse de communautés de scientifiques (biohacking), de gamers (gamelab) ou de purs hackers.
Le tour du monde des labs en 48h de Makery en datas : 13 labs, 11 pays, 4 continents, 26 makers, artistes, fabmanagers à la question, 7 heures de contenus vidéo ou sonores
Si l’esprit maker a soufflé pendant 48 h à Linz, c’était via un mot d’ordre d’ouverture, mélange de culture open source, de partage d’informations et d’échange de connaissance, de réappropriation des outils physiques et informatiques. Une vision optimiste de lendemains DiY qui traverse les continents et étend le « faire » à l’architecture urbaine, la fabrication de synthés modulaires, la conception de cartes géographiques partagées, le détournement de jeux à des fins féministes, la citoyenneté « intelligente » à la hollandaise, l’accès aux outils pour tous ou encore la bataille contre les géants du web (la Facebook Liberation Army)…
Puisqu’il nous faudra un peu de temps pour mettre en ligne toutes les vidéos, voici en guise d’échantillon deux des intervenants, Gildas Guiello, fondateur du Ouagalab au Burkina Faso (dont l’énergie ne se dément pas, on vous avait parlé de leur façon de fabriquer brique à brique leur fablab) et Thiago Kunz, membre du Garagem fablab à São Paulo (qui a déménagé depuis que notre correspondant au Brésil l’avait visité) et fondateur du fablab Belém :
Gildas Guiello, en direct du Ouagalab pour Makery:
Thiago Kunz, en direct du Garagem pour Makery:
Car c’est une autre constante du bilan de ces 48 heures d’infolab : partout, ça emménage, ça déménage. C’est un peu compliqué de pérenniser des lieux de fabrication numérique dans le contexte de structures légères et encore toutes neuves : la Blackloop (réunion des hackerspaces Blackboxe et le Loop au Jardin d’Alice) est dans les cartons (mais ne sait pas encore très bien pour où) ; le Garagem vient d’emménager, le Tokyo Hackerspace a connu quelques déplacements jusqu’à son espace encore loin d’être équipé dans la banlieue de Tokyo, l’Hackuarium pourra se maintenir dans ses locaux de Renans (Suisse) grâce à la mobilisation de toute une communauté alors que le Ljudmila Art and Science Laboratory slovène devra prochainement quitter ses locaux…
Cuisine et dépendances DiY
Notre marathon a permis de visiter à distance, en mode très bricolo, ces espaces hybrides et de vérifier que l’esprit maker souffle du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest. On a parlé cuisine et dépendances (Noisebridge n’a plus de cuisine, la faute au règlement qui l’oblige à ne conserver qu’une « salle de repos »), on a papoté de machines et de gens aussi (Mary, extraordinaire hôtesse de Noisebridge qui a poussé les portes du hackerspace californien il y a moins de trois mois : « C’est la meilleure chose qui me soit arrivée dans toute sa vie »). On a aussi assisté à des démos (les robots maison de la Machinerie d’Amiens, pas tout à fait opérationnels pour la prochaine coupe de France de robotique, les jeux du Gamelab de UCLA à Los Angeles, un échantillon de synthé modulaire par l’équipe de Glasgow Make Some Noise) et même une performance (par le Theremidi Orchestra, communauté DiY du Ljudmila Art and Science Laboratory de Slovénie.
Evidemment, l’équipe de Makery est revenue sur les genoux de ce marathon des labs… Mais doublement ravie de l’enthousiasme de nos interlocuteurs et d’avoir planté quelques graines pour la société de la post-information dans ce « crash » de l’info imaginé par Franz Xaver et Shu Lea Cheang.
D’autres que nous l’ont fait : on a testé pour vous les boissons et légumes fermentés aux goûts étranges et bactéries odorantes du Ferment Lab d’Agnieszka Pokrywka (une sorte de cidre léger, un orgeat tiré de céréales, un Kombucha tiré de thé noir, de la betterave crue…).
L’artiste finlandaise, en résidence sur le bateau Eleonore, y a mis en place un placard à fermentation (très DiY), pour obtenir une température constante entre 20 et 30 degrés, favorable à la fermentation et explore les relations entre bactéries et cultures humaines.
On a aussi expérimenté le Piss(On)Logic (PoL) de Martin Howse et Jonathan Kemp, sorte de pissotière analogique (deux urinoirs reliés à un récipient par deux tubes), le « 1er prototype à l’échelle urbaine » de portes logiques, clin d’œil érudit à l’histoire de l’électronique (la fonction OU exclusif dite aussi XOR) y est invoquée, de même que l’homosexualité cachée d’Alan Turing.
En trois spots, le long du Danube, les pissotières logiques des deux artistes activistes paraissent bien dérisoires en regard des installations et spectacles à hélicos et drones de l’Ars Electronica. Avec leur irrévérence subtile, ils proposent néanmoins de repenser la technologie à l’échelle de la ville, des gens, des plantes… Une façon de répondre aux défis que nous pose la mise en datas du monde.
« Nous sommes tellement tous fichés qu’on n’en sortira qu’avec la poésie, la musique, les rêves… », dit Franz Xaver pour expliquer le projet Ghost Radio, un dispositif planté sur les marches du FutureLab, aux allures de station DiY de l’espace.
Une antenne de 68 mètres de long en pentagramme, un générateur électrostatique de Kelvin qui transforme les gouttes de pluie en charges électrostatiques. Là dessus, Pamela Neuwirth, Markus Decker et Franz Xaver diffusent en rétroaction une boucle magnétique sur l’antenne. Laquelle extrait un signal aléatoire et diffuse donc un bruit aléatoire.
Car ce que défend la Ghost Radio, c’est le hasard : l’aléatoire comme piste sérieuse pour échapper au rouleau compresseur de l’algorithme (celui de Facebook comme celui de Google qui réduisent nos Likes et autres profils en choix et présélections de plus en plus enfermantes).
« Dans une société de l’information de plus en plus énorme et performante, avec toujours plus de datamining, de logique et de computation, l’aléatoire a tendance à disparaître, explique Franz Xaver. Alors que la philosophie nous dit depuis toujours à quel point le hasard est important, alors que des quantums au macrocosmos, l’aléatoire est prépondérant. La Ghost Radio tente de commuter le monde. »
Fablab en vitrine
Forcément, après ces expérimentations les plus extrêmes, revenir à l’atmosphère cliniquement science-fictionnelle de l’Ars Electronica est délicat. Même le fablab et le biolab installés de façon permanente dans le musée du futur de Linz ont un côté glaçant de vitrine du design.
Idem pour l’exposition des prestigieux prix Ars Electronica, dont on retient surtout, pour leur côté bricole de génie, le projet ARTSAT (à découvrir par ici), le projet Soya C(o)u(l)ture du XXLab, une communauté de femmes indonésiennes qui transforment le soja en tout un tas de résidus utiles, du fuel bio au textile en passant par de l’alimentation.
Enfin, perché sur le toit du OK Centrum, le musée contemporain de Linz où se tenait l’exposition Cyberarts 2015, le joli projet de l’Allemande Agnes Meyer-Brandis, Teacup Tools, qui fait du thé à partir de la collecte massive de données.
«Teacup Tools», Agnes Meyer-Brandis, prix Hybrid Art, Ars Electronica 2015:
Bientôt, retrouvez sur Makery l’intégralité des vidéos réalisées lors du marathon des labs de Makery à Linz