Un hackerspace lance le satellite Artsat, auréolé d’un prix Ars Electronica 2015
Publié le 3 septembre 2015 par Ewen Chardronnet
Le festival Ars Electronica, du 3 au 7 septembre à Linz, distingue le satellite artistique Artsat, conçu au hackerspace de l’université japonaise Tama Art. Makery a rencontré Akihiro Kubota, initiateur du projet.
Linz, envoyé spécial
Le 28 février 2014, le premier satellite artistique au monde, ARTSAT1: INVADER, a été placé en orbite depuis le lanceur H-IIA F23 de l’agence spatiale japonaise JAXA, à une altitude de 378 km. Le petit CubeSat « 1U-CubeSat » de 10 cm de côté pour 1,85 kg, est resté sur orbite basse pendant 186 jours, réalisant 2942 orbites et 3518 enregistrements de données, avant de rentrer dans l’atmosphère le 2 septembre 2014.
Cette première mission test a permis d’effectuer avec succès un éventail de missions artistiques (génération algorithmique, transmission de voix synthétisée, de musique et de poèmes, capture et transmission de données d’images et de communications avec le sol) à l’aide de commandes envoyées depuis la station principale au sol, à l’université Tama Art à Tokyo. INVADER était également équipé du Morikawa, un ordinateur de bord dont la mission était compatible avec la plateforme open source Arduino. Il permettait notamment l’exploitation et la reprogrammation du satellite en orbite via un simple navigateur web.
Après INVADER, ARTSAT a conçu et développé une sonde en orbite autour du Soleil, ARTSAT2 : DESPATCH. DESPATCH est tout à la fois un ordinateur embarqué, une sculpture en spirale imprimée en 3D, sous une surface d’enveloppe d’environ 50 cm3 pour une masse totale d’environ 33 kg. La sonde a été lancée avec succès au côté du satellite principal Hayabusa II le 3 décembre 2014. DESPATCH est la première œuvre artistique à être insérée en orbite dans le système solaire. Symboliquement, c’est aussi l’œuvre d’art la plus distante de la Terre.
Sa mission comprend la transmission de poèmes générés par l’ordinateur embarqué à partir d’une base de langage de style dada/zaoum. La réception d’un signal de DESPATCH depuis un distance de 4,7 millions de km (12 fois la distance de la Lune) a établi le nouveau record du monde de distance pour un signal reçu à partir d’une station de radio amateur. DESPATCH a terminé ses opérations de mission le 3 janvier 2015, mais continue à opérer de manière semi-permanente en orbite autour du Soleil, tel un astéroïde.
Un nano-satellite léger, agile et à faible coût
L’histoire exemplaire dans la modestie même de ARTSAT, qui a obtenu une mention spéciale dans la catégorie Hybrid Art au festival Ars Electronica 2015, la Mecque des nouveaux médias (du 3 au 7 septembre à Linz, en Autriche), représente en quelque sorte l’accomplissement du meilleur de la culture hacker/maker.
En 2010, Akihiro Kubota fonde un petit hackerspace à l’université Tama Art. Un jour, Tanaka Toshiki du Nano-Satellite Center, qui travaille à une expérience de développement d’un nano-satellite à la Graduate School de l’université de Tokyo, visite le département artistique. Un nano-satellite est un système de micro-ordinateur indépendant alimenté par des panneaux solaires et qui communique avec une station au sol.
Akihiro Kubota connaissait déjà la réussite de CubeSat à l’université de Tokyo et commence à discuter de la possibilité d’un nano-satellite léger, agile et à faible coût. Kubota décide de lancer ses étudiants du hackerspace dans un projet de « satellite comme média » et constitue alors le programme ARTSAT.
Les membres de ARTSAT sont principalement des étudiants des départements d’ingénierie de l’Université de Tokyo et des étudiants en art et en nouveaux médias de l’université Tama Art. ARTSAT inclut aussi des membres extérieurs à l’université, collaborateurs du hackerspace dans le domaine radio-amateur, ou des opérateurs médias et des designers indépendants.
Développer un satellite qui fonctionne de manière autonome dans un environnement spatial hostile est un véritable challenge. Pour lancer et exploiter un satellite en orbite en permanence, l’équipe ARTSAT a dû également développer la station au sol, avec du matériel et des logiciels spécifiques pour contrôler l’émetteur-récepteur et l’antenne directionnelle.
La coordination des fréquences satellite avec l’Union Internationale des Radioamateurs (IARU) et le ministère des Affaires intérieures et des communications (MIC) a été indispensable. Les exigences de sécurité rigoureuses de l’agence spatiale japonaise JAXA devaient également être respectées pour lancer INVADER comme un satellite additionnel à bord de la fusée H-IIA.
« De l’art au-delà de notre compréhension »
Le projet est aussi rendu possible par un cursus PBL (Project-Based Learning) (apprentissage basé sur le développement d’un projet) de l’université Tama Art. Le programme consiste en des classes ouvertes à des étudiants de diverses sections, ingénierie, beaux-arts ou design.
Pour Kubota, « il est important pour les membres des divers domaines de travailler ensemble dès le début du projet. Afin de communiquer facilement avec les gens de différents milieux, nous devons partager une sorte de langage commun dans le projet. Dans le cas du projet ARTSAT, le satellite artistique lui-même devient la langue commune aux membres. Le satellite, l’accent du projet, fonctionne comme un média pour connecter différents domaines de compétence. »
Avec ses messages envoyés dans un style poétique algorithmique et onomatopéique, le DESPATCH est un objet singulier qui suit la même orbite que notre planète et dialogue avec elle. « ARTSAT, c’est de l’art parce que c’est au-delà de notre compréhension », nous dit Kubota en riant.
Installation Artsat dans l’exposition Cyberarts 2015 à l’Ars Electronica (Linz):
Pour en savoir plus :
Un article sur les satellites artistiques dans « All Aliens » (Phénix, Valenciennes, ed. Clarisse Bardiot, 2015)