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Apple II Fest: la célébration d’une machine immortelle

L'électronique Apple des années 1980, sur le banc d'essai de Vincent Leclaire. © Nicolas Barrial

Des passionnés du mythique Apple II se sont réunis une semaine dans le Gers. Une machine rencontrée pour certains il y a plus de trente ans et qu’ils considèrent toujours comme sachant tout faire. Au programme de cette première, retrogaming, conservation du patrimoine informatique et bonne chère.

De notre envoyé spécial à Castéra-Verduzan

Lorsque je suis arrivé le 4 août dernier au Maska, la petite bastide gersoise qui accueillait l’Apple II Fest, mon Macbook Pro n’a plus voulu se rallumer. On aurait pu croire que c’était le meilleur endroit pour tomber en panne, mais on est pas chez les Apple Fanboys, plutôt dans une faille spatio-temporelle où l’électronique d’aujourd’hui a eu raison de nos tentatives de réanimation. Si j’avais eu un Apple II, j’aurais sans doute pu soulever le capot et le (faire) réparer.

Au bout du chemin, des Apple II à profusion. © Maska

Le gaming comme pulsion créative

C’est tout le propos de cette période bénie où la machine était livrée avec son livret de code et une électronique accessible aux plus hardis. Un ordinateur graphique et programmable qui allait participer à l’éclosion de la micro-informatique. Mais bien sûr l’Apple II et ses itérations qui coururent sur une longévité exceptionnelle, de 1977 à 1993, étaient surtout des machines de jeux qui faisaient briller les yeux des ados.

Deux objets du culte qui ne font pas leur âge. © Nicolas Barrial

Et cela n’a pas beaucoup changé, selon René Speranza, fondateur de l’association Silicium, qui assure la logistique de l’évènement, c’est par le jeu que les jeunes découvrent l’informatique d’aujourd’hui et d’alors.

«J’ai raté des révolutions, mais pas celle du jeu vidéo»

René Speranza, fondateur de Silicium

Les époques mises bout à bout, on obtient le fameux retrogaming qui connait le succès que l’on sait. « Dans les phases d’appropriations, c’est dans le jeu que la créativité s’exprime, notamment à cette époque charnière où l’on pouvait les créer soi-même ». Et René de poursuivre en parlant tout de même de nostalgie, comme d’un sentiment qui préside au festival.

Le Gers, comme une intuition

Une machine ouverte, certes, mais pas accessible à toutes les bourses, pas étonnant que les ados de l’époque soient devenus un peu pirates pour accéder à la bibliothèque logicielle, sur la machine de papa ou dans les clubs, jusqu’à devenir des spécialistes de l’Applesoft, le basic de l’Apple II. C’est le cas de Stéphane Briancourt qui a fédéré la communauté française des afficionados en créant un groupe Facebook en 2014. L’idée d’une réunion physique était en alors en gestation.

Agnès de Cayeux et Stéphane Briancourt, les initiateurs de l’Apple II Fest. © Nicolas Barrial

A la même période, Agnès de Cayeux, une artiste qui s’intéresse aux univers techniques, organisait un duplex avec la manifestation d’un groupe équivalent aux Etats-Unis, le KansasFest, dans le Missouri. Elle proposera le Maska, une élégante bastide et son gîte rural comme une réponse à l’événement US. Et chemin faisant, ce choix géographique s’est révélé comme un épicentre naturel pour la communauté française de l’Apple II. 

A commencer par Silicium, une des associations majeures de l’informatique vintage qui se trouve à Toulouse et aussi quelques barons de la grande époque du soft qui avaient élu domicile dans le Sud. Un bon vivre qui allait apporter une touche bien française au festival : des repas qui s’éternisent, de la bière et du vin qui trancheraient avec le KansasFest, tenu sur un Campus, certes verdoyant, mais qui n’autorisait que le Coca Cola.

A peine arrivé, on a compris qu’on était pas dans le Missouri. © Nicolas Barrial

Parmi la trentaine de participants présents, on se surprend à déterminer rapidement la spécialité de chacun, à commencer par les plus envahissants d’entre eux, les collectionneurs. L’Apple II Fest présentait en effet l’impressionnante collection de François Michaud. Ce capitaine de cargo à la retraite a gardé le sens du fret pour transporter son butin, dans une voiture dont on ne voyait pas le fond.

Une collection d’avant l’âge Internet

Pas seulement des ordinateurs, mais des périphériques rares, des magazines dont, en bon conservateur, François a entrepris la numérisation. Des affiches anciennes issues de sa collection décoraient également avantageusement le Fest. Le site de François propose des photos pour que les visiteurs sachent, par exemple, si leur acquisition est fidèle à l’originale. Déployant une collection de badges, François explique qu’ils servaient à créer des affinités par spécialité lors des conventions Apple. Rappelant ainsi qu’à l’époque, la vitalité du réseau n’était pas le fait d’Internet.

Une partie du musée signé François Michaud. © Nicolas Barrial

Dans cette exposition qui pouvait servir de décor à un épisode de la série Halt and Catch Fire, le seul pour rivaliser avec François, était, contre-intuitivement, un étudiant en prépa ingénieur de 18 ans, Guillaume Courtier. Bien qu’il n’ait connu l’âge d’or de l’Apple II qu’à travers son père, il s’est pris de passion pour la marque à la pomme, accumulant plus de 100 appareils en quelques années, dont il avait amené les exemplaires les plus anciens.

La clinique du hard 

Guillaume venait d’ailleurs ajouter à sa collection un Apple III, un ordinateur mastoque destiné au monde professionnel qui fut critiqué pour sa fiabilité et qui justement, ne fonctionnait pas. Une mission pour Vincent Leclaire, ex-startuper et fabricant de hardware à succès, venu trouver la paix dans la région et cultivant une passion pour l’électronique de l’Apple II. Débarqué au festival avec son banc d’essai, Vincent n’a pas chômé pour venir au secours de vieilles alimentations.

L’atelier réanimation des alimentations par Vincent Leclaire a fait le plein. © Nicolas Barrial

Mais une fois les machines en état de marche, on ne pouvait pas faire taire plus longtemps les « softeux ». Il faut savoir que la France a été parmi les pays les plus créatifs en matière de logiciels juste derrière les Etats-Unis. Et si la verve de Vincent avait presque su amener les profanes à s’emparer du fer à souder, force est de constater que le soft en a laissé quelques-uns sur la touche.

Déplombage au secteur zéro

Antoine Vignau s’est fait une spécialité du déplombage, qui consiste à lever la protection d’un logiciel. Ce qui naguère s’assimilait à du piratage  — bien que les puristes n’en faisaient pas commerce — se révèle aujourd’hui indispensable pour sauvegarder le patrimoine logiciel d’éditeurs dont ils ne subsistent parfois que quelques disquettes.

Une lutte qui se poursuit sur des décennies, jusqu’à aujourd’hui, contribuant à la vivacité de la communauté. Le hacking live d’Antoine a tourné à la performance, et s’il s’adressait à un public de spécialistes, on a tout de même compris que l’Applesoft avait une faille, une backdoor, le secteur zéro qui se chargeait et servait de pierre de Rosette.

Antoine Vignau, professeur de « hacking and cracking » pour la bonne cause. © Nicolas Barrial

Antoine, que l’on peut qualifier d’historien du soft Apple II, pratique d’ailleurs une véritable archéologie informatique pour compléter la bibliothèque de sa machine de prédilection, l’Apple II GS, dont l’une des puces était à elle-seule un Apple II de la génération précédente. La loi de Moore en action à une époque où la communication entre passionnés passait encore par petites annonces ou par les pages de magazines, programmes compris.

Les programmes sur disquettes étaient également des espaces de communications pour faire valoir ses talents. Un peu à l’image de ces déplombeurs qui selon Antoine — un peu agacé par ce manque d’étiquette — utilisaient quasiment une disquette supplémentaire pour signer leur œuvre.

Ghost in the machine

Oui, l’âme des programmeurs semble être dans la machine, un fait que ne renierait pas Andrés Lozano, dit Loz, artiste et informaticien, qui s’était rendu au KansasFest pour présenter Dialector de l’artiste français Chris Marker et qui a récidivé au Fest français, accompagné par Annick Rivoire, rédactrice en chef de Makery, également passionnée par le travail de Marker.

Annick Rivoire et Loz mettent la salle sous l’empire de « Dialector ». © Nicolas Barrial

L’artiste français, décédé en 2012, avait utilisé l’Apple II pour programmer un logiciel de dialogue avec la machine qui préfigurait une sorte d’IA. Chris Marker avait su, en utilisant jusqu’au dernier bit de stockage, imprimer à la machine un caractère cultivé, parfois sanguin. Selon les proches de l’artiste à qui Annick avait fait essayé Dialector, une étrange sensation s’en dégage, comme si l’artiste se trouvait là dans les lignes du programme, à l’image de son obsession pour les chats.

Et cela ne s’est pas démenti lorsque Olivier Cagarel (Microsoft), venu tout exprès des Etats-Unis pour le Fest, entreprit un dialogue : le ciel s’est assombri à la faveur d’un nuage, diffusant une lumière inédite dans la salle de conférence et les chats de la bastide firent une apparition. Coïncidence ?

L’Apple II, un univers de proto-makers

Tout cela n’est finalement qu’une affaire d’interprétation du langage, Loz comme Olivier Caragel ont d’ailleurs proposé des solutions pour permettre à l’Apple II de s’entendre avec des outils de programmation plus modernes, ici le Python et là, l’Assembleur. Mais s’attaquer à la grammaire de l’Apple II lui-même, le basic Applesoft, c’était une mission qui semblait presque impossible. C’est pourtant ce que Benoît Gilon a entrepris avec Peer Soft.

Benoît Gilon et sa présentation ésotérique de Peer Soft. © Nicolas Barrial

Qualifié de « génie » par Antoine Vignau, Benoît Gilon ajoute des fonctions inédites à l’Applesoft, notamment la possibilité de lancer plusieurs routines en même temps. Mais lorsque la question fut posée sur les applications potentielles, Benoît finit par lâcher : « Je n’en sais rien. » L’art avait fait une résurgence inattendue au Maska. 

Mais l’informaticien n’en est pas moins lucide lorsqu’il poursuit en présentant l’OS d’un Raspberry Pi, affirmant que celui de l’Apple II aurait sans doute évolué vers cette forme. Et de tisser ainsi une filiation entre les utilisateurs historiques de l’Apple II et le mouvement maker.

«Avec l’Apple II, la distance entre l’idée et l’expérimentation était très courte et l’on voyait rapidement si on se trompait, ce qu’on retrouve dans l’univers des cartes programmables.»

Benoît Gilon

Raspberry Pi inside, un futur possible pour l’Apple II ? © Nicolas Barrial

A chaque niveau, son boss

Cette conférence de fin de semaine allait précéder l’arrivée des boss du soft, en l’occurrence ceux qui étaient déjà des professionnels actifs à l’époque de la sortie de l’Apple II, ce qui a fait dire à Antoine Vignau « Je suis né 10 ans trop tard », tout en notant l’admiration qu’il portait « à ceux qui ont participé à la naissance de la micro-informatique ».

C’est le cas de Pierre Berloquin, venu en voisin pour une conférence et que chacun connaît mieux comme l’une des plumes du fameux magazine Jeux et Stratégie et qui réalisa des logiciels pour l’Apple II dans les années 1980. Notamment Extasy, un éditeur graphique célébré le matin même au cours de l’atelier « Conversion Graphique pour l’Apple II » par Mario Patino, un Vénézuélien résidant en Allemagne qui était venu grossir les rangs du Fest français.

Mario Patino avait réalisé le Powerpoint de sa présentation sur l’Apple II. © Nicolas Barrial

Après notre départ, soit samedi, se tenait également la conférence d’une autre idole des participants du Fest, Jean-Louis Lebreton, écrivain, mais également fondateur de Froggy Software, une société informatique créée en 1984. Associé à Fabrice Gille, il publia de nombreux jeux pour Apple II et comme un signal que le monde avait changé, Froggy ferma lorsque le Macintosh remplaça l’Apple II.

François Michaud (à gauche) et Pierre Berloquin (à droite). © Nicolas Barrial

La garde ne se rend pas

Pourtant Antoine Vignau et ses amis n’ont aucune raison de quitter l’univers de l’Apple II. Notamment, grâce aux émulateurs logiciels qui simulent l’Apple II dans des machines plus récentes, comme autant de poupées russes. Des émulations parfois matérielles distribuées à l’époque par Apple pour inviter à changer de machine, comme cette carte, présentée par Guillaume, qui émule l’Apple IIe sur un Mac LC.

En ce qui concerne le déficit de stockage, Patrice Torguet a évoqué des solutions contemporaines comme la carte UNISDISK développée par le japonais Kochi Nashida ou encore la carte américaine CFFA 3000 qui a fait l’objet d’un atelier à part. Enfin, des logiciels récents comme ADTpro assurent le transfert d’images disque depuis un Apple II sur des supports modernes.

La carte de stockage UNISDISK développée par le japonais Kochi Nashida. © Nicolas Barrial

Côté hardware et côté soft, le développement se poursuit, à l’image de l’OS de l’Apple II GS qui a eut droit à son update, après 22 ans d’attente. Mais l’Apple II Fest n’aurait pas été complet sans mettre concrètement à l’épreuve les capacités légendaires de la machine, notamment au travers d’un son et lumière sur Apple II GS par Didier Breil ou encore Benoit Triquet, ingénieur Airbus, qui expliqua comment créer son propre jeu. L’histoire ne dit pas combien de temps Antoine Vignau mettra pour le cracker.

La chaine Youtube pour retrouver l’ensemble des conférences.

Le groupe Facebook Apple II France

L’association Silicium