Makery

Comment le Tokyo Hackerspace hacke son espace

Au Tokyo Hackerspace. © Cherise Fong

Pourquoi n’y a-t-il qu’un seul hackerspace à Tokyo, mégalopole qui a pourtant donné naissance à Akihabara, mythique quartier électronique? Depuis six ans, le Tokyo HackerSpace a beaucoup déménagé, jusqu’à ce garage tranquille de la banlieue nord-ouest, que Makery a visité. 

(Tokyo, de notre correspondante)

Tous les mardis soirs à partir de 19h30, dans un garage situé au bord d’un canal pas loin de la gare de Naka-itabashi, à quatre stations de train sur une petite ligne privée au départ de Ikebukuro au nord-ouest de la ville, c’est le open meetup anglophone hebdomadaire de Tokyo HackerSpace. Premier arrivé sur place, Henri, ingénieur finlandais résident au Japon depuis 17 ans, tripote sa motocyclette.

« Je suis membre du hackerspace depuis 2 ans, dit-il. Je fais de l’électronique, du Raspberry Pi, de la moto. Il y a d’autres membres qui aiment faire de la crème glacée ou du fromage. Nous sommes des gens qui aimons fabriquer des choses. Ici c’est l’espace garage, à l’étage, c’est l’espace bureau. En haut on discute, mais tous nos outils sont en bas, pour les gens qui veulent se salir les mains. On fait aussi des soirées ciné, des soirées jeux rétro, où l’on joue et on boit. On est une vingtaine de membres actifs. Les mardis soirs on parle anglais, et les mercredis soirs tout le monde parle japonais, que l’on soit Japonais ou pas. De 5 à 10 personnes viennent ces jours-là. Cela varie, les gens sont occupés. Tout cela prend du temps. Venir jusqu’ici prend du temps. Je pense que le temps est la ressource la plus précieuse, du moins au Japon. »

Machine à karaoké à cassettes, en attente de résurrection au Tokyo HackerSpace. © Cherise Fong

Henri travaille actuellement sur un Raspberry Pi auquel il connecte un écran LCD, puis des capteurs de température, d’humidité… Charlie, nouveau membre originaire de Seattle, veut monter un projet Arduino pour tester la résistance des câbles USB. Beaucoup des composants viennent effectivement d’Akihabara, mais les étagères débordent de boîtes et de matériel récupéré : une machine à karaoké à cassettes, un distributeur automatique, un oscilloscope, des panneaux solaires, un circuit orphelin, beaucoup de câbles… On y retrouve également l’incontournable découpe laser, une découpe métal, une perceuse, une fraiseuse et autres outils électriques. L’imprimante 3D, plus fragile, se trouve à l’étage.

Une grande armoire en métal placardée de stickers témoigne des visites d’outremer comme autant de tags dans un livre d’or mural : Hackaday, Ultimaker, Maker Faire ou Noisebridge, mais aussi des hackerspaces à Prague, Bruxelles, Stuttgart, Singapour ou Pittsburgh. On reconnaît au passage les autocollants des associations françaises de défense du libre La Quadrature du Net et April.

Tokyo HackerSpace lui aussi a fait du chemin depuis sa naissance en 2009, inspirée du discours manifeste de Mitch Altman de passage à Tokyo, expliquant sa volonté de semer des hackerspaces à travers le monde.

Mitch Altman évangélise la cause des hackerspaces à TED (2012) :

Emery Premeaux, ingénieur américain résident au Japon depuis 9 ans, est membre co-fondateur du Tokyo HackerSpace et l’auteur du livre Arduino Projects to Save the World (aussi disponible en PDF), publié suite au projet collaboratif Safecast de mesure des taux de radiation nucléaire en 2011.

Emery Premeaux, co-fondateur, à propos du Tokyo HackerSpace (activez dans les préférences Youtube les sous-titres en français s’ils n’apparaissent pas)

En effet, la grande différence entre un hackerspace et des individus qui bricolent et bricodent chacun tout seul dans sa chambre (comme c’est plutôt la norme au Japon), c’est l’espace. L’enfance turbulente de Tokyo HackerSpace a ainsi traversé quatre lieux, du plus luxueux au plus paumé.

Expulsion

Leur tout premier espace, toujours auto-financé, était une maison à deux étages, avec cuisine immense, cinq chambres, jardin et parking dans un quartier BCBG de la capitale. Le collectif insolite aux outils bruyants a été expulsé trois ans plus tard suite à l’échéance du bail. Ils ont partagé ensuite un bureau dans un espace de coworking, mais ne s’entendaient pas avec leurs colocs plus conservateurs. Ils ont alors loué un petit garage dans le centre, mais en ont été virés au terme de leur bail de deux ans. Depuis quatre mois maintenant, ils se sont installés dans ce garage tranquille (avec cuisine à l’étage) en banlieue nord-ouest, où jusqu’à présent ils ne dérangent ni le proprio ni les voisins.

Parmi leurs membres japonais comptent un otaku de moteurs automobiles, si content d’avoir un espace où il pouvait sérieusement bidouiller qu’il a cosigné le bail, un lycéen qui a quitté l’école afin de se consacrer à sa passion pour l’électronique et l’informatique, une femme divorcée qui s’initie au développement de logiciels et en profite pour pratiquer l’anglais tout en apprenant les applications matérielles, et qui en plus amène sa fille adolescente pour qu’elle s’initie à la culture DiY. Valeur commune entre toutes et tous ? L’indépendance.

 La boîte à contributions DiY de Tokyo HackerSpace. © Cherise Fong

Il y a quelques semaines, de vraies toilettes ont été installées dans le nouveau lieu. Les hackers sont toujours en train de bricoler l’électricité, la lumière, les connexions… Leur bail actuel est de trois ans. « C’est le premier espace où je pense qu’au terme de trois ans, il n’y aura aucun problème pour renouveler le bail, reprend Emery Premeaux. Cela fait seulement quelques mois qu’on est ici, mais je sens qu’on y sera pour six ans. »

Prochain rendez-vous tokyoïte le 26 juillet au meetup «Hack the Hackerspace». Au plaisir des curieux de s’y mettre au premier degré : hackez cet espace !

Plus d’infos sur le site du Tokyo HackerSpace 

Retrouvez l’e-book «Arduino Projects to Save the World» en PDF