Makery

Le tour des labs d’Europe à vélo de deux Américaines

Miriam Engle et Madison Worthy au FabLab Bremen (Allemagne). © Madulthood

Miriam Engle et Madison Worthy sont parties fin avril de Copenhague, à vélo, pour réaliser un docu sur les fablabs européens. Après le Danemark, l’Allemagne, la Hollande et la Belgique, les deux Américaines étaient le 19 juin au Faclab de Gennevilliers. Rencontre.

Madison Worthy et Miriam Engle sont arrivées en vélo à Paris le 18 juin, après une étape à Reims et en provenance de Belgique. Le lendemain après-midi, les deux Américaines se sont prêtées au feu des questions des makers venus les accueillir au Faclab de Genevilliers. Deux mois déjà que dure leur tour d’Europe des fablabs, une idée née dans le Colorado où les deux Américaines se sont rencontrées.

Après deux douzaines de fablabs au compteur, leur périple s’achèvera fin juillet à Barcelone. Madison et Miriam retourneront alors aux Etats-Unis pour participer à la Fab11 de Boston et ainsi achever le filmage de leur documentaire intitulé Self-Made: The Story of Creative Communities, qui devrait sortir début 2016.

« Self-Made: The Story of Creative Communities », présentation du documentaire :

Le Faclab sous l’objectif des Américaines

Le Faclab de Gennevilliers, attaché à l’Université de Cergy-Pontoise, est ouvert à tous, y compris aux enseignants qui cherchent à étayer leur pédagogie avec des fabrications numériques. Le sujet intéresse Miriam et Madison, qui, après avoir fait le tour du lieu, rassemblent une dizaine de personnes pour filmer un débat de deux heures. 

Parmi les questions abordées : quel XXIème siècle voulons-nous créer ? quel rôle pourraient jouer les fablabs dans l’éducation et l’industrie ? comment rendre le mouvement maker grand public sans le corrompre ? Des sujets que connaissent bien les personnes présentes pendant le débat, parmi lesquelles on reconnaît Olivier Gendrin, ancien fabmanager du Faclab, Antonin Fournier du Faclab ou encore Andy Kwok, du Petit Fablab de Paris.

Madison à l’image et Miriam à la prise de son au Faclab de Genevilliers. © Nicolas Barrial
Miriam et Madison en tournage au Faclab. © Nicolas Barrial

La présence de Sofia Manseri, conseillère municipale de Gennevilliers en charge des questions du féminisme, a orienté la discussion sur la place des femmes dans les fablabs. Un débat enlevé que l’on retrouvera sans doute dans le documentaire. En attendant, Makery a aussi tendu le micro pour recueillir les impressions de Madison et Miriam sur leur voyage.

 

Pourquoi ce tour d’Europe à vélo des fablabs européens ?

Miriam Engle : Après des études de littérature, j’ai rencontré Madison dans le Colorado en 2014 alors que nous étions monitrices de ski. Madison avait travaillé à Boulder (Colorado) pour Indigo, un programme d’éducation à la technologie, et approché le mouvement des makers et les fablabs. Elle m’a proposée en janvier de faire un voyage à vélo en Europe pour documenter le phénomène. Nous avons quitté nos emplois et sommes parties tout de suite pour l’Europe, à Copenhague.

Pourquoi l’Europe ?

Madison Worthy : Le nombre de fablabs est très important en Europe. Je pense que c’est lié à la crise et à une certaine urgence. Aux Etats-Unis, on reste dans une économie confortable basée sur le pétrole. En Europe, les gens sont prêts à prendre des risques. Pendant mes recherches, j’ai constaté qu’en Italie où nous avons visité des fablabs avant le départ du tour, il y avait un grand nombre de sans-emploi et des fablabs naissaient partout. La raison est négative mais les résultats sont positifs ; cela donne aux chômeurs un endroit où aller travailler, faire des choses et se sentir utiles. 

«Les dix premières années de la culture Fab ont porté sur l’éducation, pour inspirer les gens à acquérir de nouvelles compétences et dissiper la peur de la technologie. Maintenant que nous avons les connaissances et l’accès, nous pouvons améliorer notre niveau de vie globale. Et on n’a besoin de la permission de personne.»

Miriam Engle

Madison : En Hollande, nous nous sommes rendues compte qu’ils basaient tout sur l’éducation, ils font un gros effort à l’échelle du pays pour intégrer les fablabs dans les bibliothèques, nous n’avons rencontré ça nulle part. J’étais vraiment jalouse : aux Etats-Unis, vous devez vous battre pour avoir droit à devenir un individu éduqué. En Europe, ça paraît dans l’ordre des choses que vous puissiez aller au collège et choisir votre voie. Et les fablabs favorisent aussi cette éducation, permettant aux individus de poursuivre leurs idées, leurs projets.

 

Comment avez-vous financé l’aventure ? 

Miriam : On a fait une campagne de crowdfunding pour que les gens se sentent impliqués dans notre projet mais on a surtout investi nos propres économies. Le documentaire nous permet en fait de définir quels types de ressources émergent du réseau ; des personnes nous reçoivent, des personnes voyagent avec nous, d’autres veulent discuter du futur des fablabs ou de la technologie. C’est assez unique de ne pas avoir une histoire écrite à l’avance, notre dynamique est exponentielle.

Madison : Nous avons eu de la chance, beaucoup d’endroits où nous sommes allées nous ont proposé le logement, parfois un jardin pour camper ! Depuis notre départ, nous n’avons payé qu’une seule fois pour nous loger. Nous avons beaucoup utilisé la communauté des couch surfers. Parfois, ils nous renseignaient sur un fablab au milieu de nulle part. Mais nous avons surtout converti plein de monde à l’univers des fablabs.

Quels sont les fablabs qui vous ont marqués ?

Madison : Le Kaas Fabriek en Hollande. Nous y sommes arrivées vers 22h, épuisées par notre plus longue distance à vélo, plus de 100 kilomètres. Et là, une vingtaine de personnes s’affairaient ; des pères travaillaient avec leur fils, des femmes découpaient des cookies au laser. C’est vraiment une communauté à croissance organique. Tout le fablab est construit avec des conteneurs et du coup, pas de loyer, pas d’adresse. Nous avons fait des images jusqu’à une heure du matin et avons fini par y dormir.

 

Miriam : Nous avons été impressionnées aussi par le Fablab Ammersfoort, toujours en Hollande. Ils font un super boulot pour construire une communauté qui ne s’occupe pas de faire des profits mais encourage les gens à innover. Ils ont beaucoup de succès et énormément de projets en cours, notamment écologiques. Ils ont un très grand jardin à l’extérieur du fablab, une personne construit des bateaux qui fonctionnent à l’énergie solaire. Et sur un toit voisin, il y a des ruches urbaines qui pollinisent le jardin. C’est tout un écosystème. Nous sommes également très curieuses de voir Barcelone, il paraît qu’ils veulent un fablab dans chaque quartier. Nous voulons savoir s’ils vont réussir à conserver une démarche d’authenticité.

Ramenez-vous des souvenirs de chaque lab et avez-vous eu recours aux labs pour des réparations ?

Miriam : On a eu de la chance, pas de casse concernant les vélos, des vélos d’occasion allemands remis à neuf à Copenhague. On les a juste fait vérifier régulièrement dans des ateliers. Au début, nous emportions des objets à chaque fois, mais au bout d’un moment, ça commençait à peser, alors on les a plutôt donnés à l’étape suivante. C’est devenu un rituel. Le seul fil rouge a été un haut parleur que nous avions fixé sur un vélo pour avoir de la musique. Il avait été conçu par le Fab Lab Danemark, un fablab mobile, mais il ne marchait pas bien à l’extérieur. C’est le Kaas Fabriek en Hollande qui nous l’a réparé. Mais on en avait marre de le transporter, alors finalement on l’a donné à un lab en Belgique. Ils étaient contents de recevoir cet objet, fruit d’un effort européen !

 

Qui va monter le documentaire et comment sera-t-il diffusé ?

Madison : C’est moi, on a proposé de m’aider pour la post-production mais l’idée est de le faire seul, self-made ! Et par ailleurs, nous avons conclu un accord avec Futuremag, pour une série documentaire.

Miriam :  On a des terabytes de données. Tout sera en open source, nous voulons que les gens utilisent nos ressources. Nous ferons peut-être un director’s cut payant pour récupérer un peu de fonds.

Comptez-vous poursuivre l’aventure sur d’autres continents ?

Miriam : Oui évidemment, si nous avons le financement ! Je devrais retourner travailler à la fin de ce voyage. Je vais sans doute reprendre le monitorat de ski dès novembre. Après, je compte écrire et devenir une « professionnelle du nomadisme ».

Madison : Moi, je compte faire ma place dans le milieu des fablabs. Une opportunité m’attend dans une école au Danemark, je veux continuer à éduquer, transmettre. Je m’intéresse au biohacking notamment, je compte faire des recherches autour des champignons Mycélium. Et fabriquer mes propre meubles pour mon nouvel appartement !

De g. à dr. Miriam, Andy Kwok, Antonin Fournier, Madison et Olivier Gendrin.  © Nicolas Barrial

Sans véritable plan de route, si ce n’est les pays visités, les deux Américaines voyagent en fonction des opportunités et des recommandations qu’elles recueillent à chaque étape. La France n’échappe pas à leur sagacité: après Paris, cap sur la Kelle Fabrik dijonnaise, avant une rencontre avec quelques membres des fablabs comtois et le nouveau Fablab des vignes à Savigny-les-Beaune.

Le site de Miriam et Madison