Aernoudt Jacobs fait chanter les boîtes en fer blanc
Publié le 29 juin 2015 par la rédaction
«Induction Serie #4.1», du belge Aernoudt Jacobs, est une sorte de ready-made sculptural en suspension, qui utilise la résonance naturelle pour créer des champs vibratoires à partir de son architecture alambiquée.
(Caen, envoyé spécial)
A première vue déjà, l’œuvre est saisissante. Présentée dans l’arrière-salle du lieu alternatif La Fermeture Eclair, dans le cadre du festival d’art sonore Interstice à Caen en mai dernier, Induction Serie #4.1 se présente sous forme de plusieurs dizaines de boîtes de fer blanc en suspension, reliées entre elles par un jeu de ficelles et d’aimants puissants, qui s’articulent et s’encastrent dans une curieuse architecture chaotique, livrant en son milieu un étroit espace d’écoute.
« Induction Series #4 », Aernoudt Jacobs, 2014 :
Espace d’écoute, car en dépit de ses formes intenses et biscornues, incitant d’abord à faire jouer ses rétines pour en admirer les reliefs chromés, Induction Serie #4.1 s’écoute (l’installation est différente de celle montrée ci-dessus). Délicatement même, étant donné la fragilité de son dispositif auditif, procédant directement de la structure métallique par induction ou résonance magnétique.
Grâce au contact d’une vingtaine de bobines électriques placées à proximité, les boîtes de fer entrent par instant en vibrations, créant ainsi les champs magnétiques qui, naturellement amplifiés, se traduisent par d’étranges mélopées ronflantes, qui grondent puis refluent, et intiment au spectateur de prêter attention.
L’enceinte revisitée
L’artiste sonore Aernoudt Jacobs, enseignant à l’Atelier Aaudio du RITS (département arts dramatiques et techniques audiovisuelles de l’Erasmushogeschool de Bruxelles), et membre fondateur du collectif Overtoon avec Christoph De Boeck, une plateforme d’aide à la production en art sonore basée elle aussi à Bruxelles, était parti pour « revisiter la technologie de l’enceinte ».
« Une enceinte traditionnelle se compose de trois éléments servant à amplifier les sons : un aimant, un électro-aimant et une membrane. Ces trois éléments mettent l’air en mouvement et produisent le son. D’une certaine manière, Induction Series reconfigure ce principe d’enceinte. En allant plus loin dans la déconstruction et l’analyse de ces composants et de ces principes, j’ai donc accumulé des matériaux, des idées, des formes et des objets qui produisent des sons. »
Comme son nom l’indique, Induction Series présente plusieurs ready-made explorant ce thème de l’induction. « Chaque pièce de la série s’appuie sur le même principe de recherche et de matériaux basiques : électro-aimants, cuivre, bobines, aimants en néodymium, du son et des objets… », poursuit Aernoudt Jacobs. « Les autres objets utilisés sont de vieux instruments didactiques, des cordes, diverses cavités résonantes, des objets en verre, du carton ondulé. Une des prochaines pièces de la série fera directement référence à un travail emblématique de Marcel Duchamp. »
Conversation avec l’espace
Pour Induction Series 4.x, le choix de configuration s’est donc porté sur un principe de boîtes en fer blanc empilées. « L’empilement est inspiré par des modèles de murs en briques. », dit Aernoudt Jacobs. « C’est une configuration flexible qui peut prendre différentes formes. Je la conçois différemment pour chaque travail in situ. L’espace de présentation est l’élément déclencheur de la forme choisie et chaque itération entend converser seulement avec l’espace qui lui est dédié. »
Cette idée de conversation se prolonge évidemment dans sa dimension sonore. « C’est un travail en son multicanal », continue Aernoudt Jacobs. « Chaque bobine produit un son préenregistré que l’architecture des boîtes creuses amplifie et mixe naturellement. Cette amplification naturelle se produit car les boîtes fonctionnent comme un résonateur. Le grain du son est par ailleurs défini par les caractéristiques propres à chaque boîte. »
Tension entre l’œil et l’oreille
Les intonations sonores les plus curieuses, comme ces pépiements que l’on jurerait provenants d’un oiseau caché dans la ferraille, se produisent donc sans aucun effet additionnel, en alternant étrangement montées sonores et silence. « J’essaie de trouver dans la pièce un juste équilibre entre l’immatériel et le matériel, entre le son et l’objet-sculpture », se justifie Aernoudt Jacobs. « Tout dépend de la façon dont je veux que l’installation se dévoile devant le public, de la dichotomie ou de la tension que je veux valoriser entre ce que vous entendez et ce que vous voyez. Dans notre société, la perception provient surtout de ce que l’on voit. »
Cette référence à la perception du public est essentielle. En dépit de sa pureté formelle, Induction Series 4.x ne peut se révéler que dans son expérience : une sorte de traduction de la complexité et de la stratification de notre environnement immédiat qui peut être expérimentée simplement, par l’écoute. Faut-il alors voir dans cette architecture de fer blanc une réponse épurée à la frénésie de notre monde moderne ? « Toutes les interprétations sont plausibles », s’amuse Aernoudt Jacobs.
« Ma recherche se base sur l’expérimentation, le son, la science, la technologie, la connaissance, la perception, la phénoménologie. Et mes pièces entrent juste en résonance directe avec tout ça. »
Aernoudt Jacobs
C’est en Norvège qu’on pourra suivre l’évolution d’Induction Series, programmé du 3 septembre au 25 octobre au Punktfestival. D’ici 2016, quatre des œuvres produites par le collectif Overtoon seront présentées au festival Maintenant au Bon Accueil à Rennes en octobre, et au festival Interstices à Caen. « Nous sommes très contents de ces partenariats à petite échelle », se réjouit l’artiste belge, comme pour mieux apprécier les courbes sonores discrètes mais prégnantes de ses curieux dispositifs.
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