Coque d’arachide, son de riz, bouse de vache et moules faits maison… Notre makeuse en matériaux poursuit son immersion inspirante au Togo, au labo des matériaux locaux bio-sourcés.
Dans le cadre de l’incubation de mon projet La Termatière, agence de design spécialisée dans les matériaux bio-sourcés, je suis partie étudier le fonctionnement du Centre de la construction et du logement (CCL) de Lomé, au Togo, qui ressemble en tous points à ce que je vise en terme d’activités.
Une R&D low-tech
En dehors de ses activités de veille et prospection sur les matériaux locaux de la sous-région, de documentation et de formation des maçons, architectes, ouvriers sur les techniques de construction locales, le CCL s’attache à rechercher et mettre au point des procédés et méthodes pour améliorer les techniques traditionnelles. La R&D y est orientée en trois axes principaux : la recherche d’un liant pour remplacer le ciment (coûteux, régulièrement en pénurie, et dénaturant le paysage architectural avec le béton) ; la recherche de solutions de toitures afin de supprimer les tôles (une matière première importée, coûteuse et inadaptée aux températures élevées) ; la recherche de revêtements naturels imperméables pour promouvoir les constructions locales en banco (brique de terre crue, moulée et séchée à l’air, fabriquée à partir de terre argileuse et d’eau), qui s’abîment pendant la saison des pluies.
Sauf que les laboratoires tournent au ralenti en raison d’un équipement à plus de 80 % inutilisable car trop vétuste : il date de la création du Centre dans les années 1970. Les ressources du CCL proviennent d’un financement annuel de l’Etat togolais d’une part, et des recettes des ventes de matériaux et prestations d’autre part (conseil auprès d’ONG, chantiers, formations). Le budget ne peut suffire pour investir dans des machines.
«Faire de la R&D avec les moyens du bord résulte finalement d’une contrainte plutôt que d’une orientation souhaitée. L’idée est de faire de ce manque de moyens technologiques un atout, pour revisiter et remettre au goût du jour des pratiques et méthodes de fabrication plus artisanales et traditionnelles.»
Seth Atiode Amogou, directeur général du CCL
L’ensemble des moules pour les échantillons de compression est réalisé sur place ; les machines opérationnelles sont parfois bricolées et rafistolées pour obtenir le résultat escompté ; les laborantins étudient des recettes ancestrales de fabrication de matériaux de construction économiques, en vue de les réadapter en utilisant les moulins, presses, concasseurs et malaxeurs disponibles.
Face à l’extrudeuse toute rouillée, on réfléchit à en fabriquer une autre en trouvant des plans sur Internet. Le mouvement maker apporte des solutions de prototypage à moindre coût, que le Centre pourrait investir, en vue de se ré-équiper pour mener à bien ses travaux de recherche, au moins dans une phase expérimentale.
Une recherche appliquée quasi open-source
La force du CCL vient de sa volonté de faire de la recherche appliquée. Chercheurs ingénieurs travaillent en étroite collaboration avec l’architecte du Centre et l’économiste. L’objectif commun est d’optimiser le processus de fabrication, la mise en œuvre et le coût, pour, par exemple, construire des logements sociaux en matériaux locaux facilement réplicables. Il s’agit aussi de mettre à disposition de la population les outils (plans de contruction, recette de matériaux) pour lui permettre de fabriquer elle-même ses unités d’habitation. Cette approche plus sociale s’équilibre par les licences vendues des deux brevets déposés par le Centre : la fabrication de chaux à partir de roche dolomotique et la production de BTC (brique de terre comprimée).
Une des études en cours consiste à trouver des solutions de combustible économique pour fabriquer des tuiles en argile, le charbon de bois se trouvant à l’intérieur du pays et la cuisson longue nécessitant trop de matière première. Pourquoi ne pas s’inspirer des bio-combustibles développés à Banfora au Burkina Faso, ou encore du charbon de coque de noix de palme ?
Méthode burkinabée pour biocombustibles (briquettes à base de déchets végétaux carbonisés) :
Y’a de l’idée à exploiter dans le déchet…
Les agro-matériaux sont justement un axe privilégié par le CCL. Un partenariat a été mis en place avec l’école d’agronomie de l’Université de Lomé. J’ai ainsi rencontré le professeur Komla Sanda, qui expérimente actuellement le pouvoir saponisant d’une décoction de fruits séchés, en vue de créer des insecticides naturels.
Ouro-Djobo Samah, ancien directeur du CCL, s’est penché pendant des années sur l’utilisation de la paille comme composite dans le matériau bio-sourcé. Actuellement, ce sont les drêches de la Brasserie de Lomé, les résidus du brassage du malt, qui attirent son attention, à l’image de ce qu’entreprend le projet ZéBU de l’association Zone-AH!, qui milite pour la création de tiers lieux agriurbains.
Des recherches sont également en cours sur des panneaux de particules bio-sourcés, fabriqués à partir de sciures de bois, liées avec de la colle d’os ou du tanin transformé. Le son de riz a aussi fait l’objet d’une analyse en vue de fabriquer des plaques d’isolation. Mais les recherches peinent à aboutir sur une production à diffuser…
«Le problème ici, c’est l’absence d’un tissu industriel suffisant et autonome, nous permettant de produire nos matériaux locaux massivement. Au Togo, on importe des matériaux inadaptés et on exporte nos richesses, sans s’intéresser au profit de la population. Et puis, il n’existe pas d’approche filière intégrée… Nous luttons pour convaincre les cultivateurs des bienfaits des agro-matériaux.»
Komla Sanda, enseignant, école d’agronomie de l’Université de Lomé
Les problématiques soulevées par le CCL vont dans la même direction que les convictions de La Termatière. Ce mois d’échanges constructif m’a motivée pour poursuivre ma longue route vers la création d’une entreprise coopérative. A peine rentrée, j’ai replongé dans les dossiers de financement, les concours, la préparation d’une étude de marché coachée et l’élaboration de mon programme de R&D, aussi low-tech que possible !
Retrouvez les précédentes chroniques d’une makeuse en matériaux