L’impression 3D contre Daech
Publié le 26 mai 2015 par Ewen Chardronnet
L’artiste iranienne Morehshin Allahyari s’engage dans la reproduction en impression 3D des sculptures millénaires détruites à Mossoul en février par les djihadistes de Daech.
Morehshin Allahyari, artiste, enseignante et activiste iranienne à l’origine du récent 3D Additivist Manifesto passe à l’acte. Présenté cet hiver à Paris lors du festival reFrag, le manifeste conçu avec Daniel Rourke appelle les artistes, activistes, ingénieurs et écrivains à repousser les limites physiques et conceptuelles de l’impression 3D, en soulignant que le plastique des imprimantes 3D est un dérivé de pétrochimiques cuisinés à partir du pétrole, cette huile minérale composée d’une multitude d’éléments organiques remontant à des millions et des millions d’années. L’impression 3D constitue pour les additivistes la métaphore par excellence de l’impasse écologique dans laquelle se trouve notre société.
«The 3D Additivist Manifesto», de Morehshin Allahyari et Daniel Rourke (design sonore Andrea Young), 2015:
Alors que l’impression 3D est devenue un symbole technologique politique puissant (des armes imprimées en 3D au buste d’Edward Snowden récemment placé sur un monument au Fort Greene Park de Brooklyn et rapidement confisqué par la police), Allahyari pousse au-delà du symbolique, dans une résidence au Pier 9 d’Autodesk à San Francisco, en s’attelant à reproduire en impression 3D les bas-reliefs millénaires de Mossoul.
Comme beaucoup d’artistes activistes, elle a été marquée par le livre de théorie-fiction de son compatriote Reza Negarestani, Cyclonopedia: Complicity with Anonymous Materials (2008), grimoire lovecraftien du courant du réalisme spéculatif évoquant la fiction horrifique, la théologie spéculative, un atlas de démonologie ou un samizdat politique dans un Moyen-Orient en conflit continu, qui croise l’histoire naturelle de la Terre, la guerre contre le terrorisme et les archéologies du Moyen-Orient.
Choquée par les destructions au Musée Ninive de Mossoul perpétrées par des membres de Daech, l’artiste a décidé de mener un travail de recherche pour les reproduire en impression 3D dans un projet nommé Material Speculation: ISIS. Guidée par un certain nombre d’experts universitaires des États-Unis et de Téhéran, elle a reproduit des sculptures des « fausses idoles vénérées avant l’Islam » comme les décrivent les djihadistes.
Ce travail artistique en impression numérique donne un sens encore plus important aujourd’hui à la documentation des œuvres millénaires irakiennes. Avec Daech et ses succès militaires, c’est toute une culture pré-monothéiste qui risque de disparaître, une culture vitale pour l’histoire du dialogue dans nos sociétés. Son travail suggère également que nous revendiquions cette culture historique commune que Daech cherche à détruire.
Allahyari entend mettre les fichiers STL à la disposition du public, accompagnés d’une série de textes originaux. Afin que tout un chacun puisse les imprimer chez soi. Ces répliques historiques sont aussi une réflexion sur l’obsession contemporaine de la nouveauté technologique dans un temps où survivent encore les pratiques et systèmes de destruction écologique et fondamentaliste de notre ancien monde.
L’appel à projets pour contribuer au livre «The 3D Additivist Cookbook» court jusqu’au 31 juillet