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World Brain, le vertigineux fantasme d’un cerveau mondial

Le projet transmédia «World Brain» est construit comme un réseau d'information (capture écran). © DR

L’espèce humaine est-elle en train de se doter d’une intelligence collective, un cerveau unique ? C’est l’hypothèse qu’explorent Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon dans le projet transmédia «World Brain».

World Brain n’est ni une fiction, ni un documentaire. Plutôt un essai transmédia dans lequel les réalisateurs Gwenola Wagon et Stéphane Degoutin « fabriquent une réalité », celle d’une communauté de chercheurs partie en forêt réfléchir sur l’intelligence collective, tout en documentant le fantasme d’un cerveau mondial, incarné aujourd’hui par Internet.

« Imaginons que des extraterrestres arrivent sur la terre, résume dans le film le philosophe Pierre Cassou-Noguès. Que remarqueraient-ils en premier ? Est-ce qu’ils ne remarqueraient pas cette sorte de cerveau à mi-chemin entre le cristal et la bête, ses mouvements coordonnés, l’envoi de signaux électriques à travers des câbles sous la terre ou dans l’air ? Est-ce qu’il ne se demanderaient pas “qu’est-ce que c’est que cette bête qui est en train de coloniser l’humain ?” ? »  

« World Brain », Gwenola Wagon et Stéphane Degoutin (2015), bande-annonce : 

Lancé en avant-première à la Transmediale de Berlin fin janvier, et tout récemment projeté à Paris dans le cadre du festival Mal au Pixel, le documentaire est aussi disponible sur Arte.tv, où l’internaute trouvera d’autres ressources arborescentes. Construit comme un vertigineux réseau d’informations, World Brain dévoile l’environnement froid et uniforme des datacenters, un héritage du précédent film de l’artiste et chercheuse Gwenola Wagon, Globodrome.

On part à la rencontre d’une équipe de chercheurs nomades et utopistes, mise en scène par le duo et incarnée par des chercheurs et des acteurs, qui « n’auraient comme habit que l’information », explique Gwenola Wagon. Isolés mais ultra connectés, ils apprennent à faire du feu grâce à Wikipédia, chassent, construisent leur camp, se promènent nus et reconstruisent un réseau intime. Une recherche d’une connexion organique qui contraste avec la culture contemporaine de la conscience collective –l’information 24h/24, les flux boursiers, les images de chatons ou les expériences à la Frankenstein– illustrée par de nombreuses vidéos piochées sur Internet.

Les distractions d’internet. © World Brain

Ceci n’est pas de la science-fiction

Dans un formidable effort de documentation, les réalisateurs recensent les expériences passées ou présentes d’un cerveau collectif. A commencer par le baquet de Mesmer, un simple bac en bois inventé au XVIIIème siècle par l’autrichien Franz Anton Mesmer pour faire circuler ce qu’il appelle les fluides animaux entre les personnes. En 1992, Kevin Warwick devient le premier cyborg autoproclamé en s’implantant une puce qui relie son système nerveux à celui de sa femme. En 2013, le neuroscientifique Miguel Nicolelis et son équipe connectent par la fibre optique les cerveaux de deux rats dont ils ont préalablement modifié les gènes pour les rendre photosensibles. Leurs comportements semblent se coordonner. « Ces expériences, en particulier sur les rats, sont toujours absurdes, dit Gwenola Wagon. Il y a un côté ultratechnique mais le sens est toujours surréaliste. Imaginons un Internet des cerveaux : pour quoi faire finalement ? »

L’expérience des rats télépathes. © World Brain

Si les réalisateurs ne prétendent pas donner la réponse, World Brain est un voyage poétique et érudit au cœur d’un vieux fantasme. Et une vertigineuse bibliothèque de ressources pour qui voudra à son tour l’explorer. 

Le film et le site World Brain à consulter sur Arte.tv