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La machine à être un autre

A Vern-sur-Seiche, près de Rennes, le festival Bouillants présente la Machine to be Another, avec casque VR et impression d'étrangeté à la clé. © Bouillants

Présentée au festival breton Bouillants, la «Machine To Be Another» du collectif international BeAnotherLab invite l’usager à une curieuse expérience réflective sur l’autre… et sur soi-même.

Vern-sur-Seiche, envoyé spécial

Avez-vous déjà réfléchi à voir le monde à travers les yeux de vos proches, de vos amis, dans une expérience immédiate de transfert de conscience ? C’est à ce process un peu particulier qu’invite le collectif international BeAnotherLab, spécialisé dans la mise en place d’interactions jouant des extensions du corps et de l’esprit dans son dispositif The Machine To Be Another, actuellement présenté à La Laiterie de Vern-Sur-Seiche, près de Rennes, dans le cadre du festival Bouillants (du 4 avril au 31 mai).

« The Machine to Be Another », présentation vidéo :

Au départ, pour ceux qui ignorent l’approche à la fois technologique et lo-fi du collectif, rien ne laisse présager d’une telle expérience. Le décor est en effet des plus simples, à mille lieux des déballages hi-tech de nombreuses interfaces de réalité augmentée. De part et d’autre d’une tenture fermée, deux fauteuils attendent leurs convives, avec un simple miroir, une table et quelques objets, à proximité de chacun d’entre eux.

En dehors des Oculus Rift, le dispositif de la « Machine to be Another » paraît plutôt low-tech. © Bouillants

Seule la présence sur les fauteuils de casques de réalité virtuelle Oculus Rift met un peu la puce à l’oreille. L’expérience se faisant à deux, chacun des participants s’assoie, tenture fermée, et ajuste le fameux casque. Très vite, une image apparaît et on devine bien vite qu’il ne s’agit pas de son propre champ de vision, mais de celui de son partenaire.

Auto-empathie

L’effet, sans être à proprement parler impressionnant, est saisissant du fait du décalage entre vision et gestes. Qui les impulsent ? Sont-ce les siens ou celui de l’« autre » ? Quelques minutes sont ainsi nécessaires pour se familiariser avec cette désincarnation progressive. Car, c’est lorsque le rideau va être tiré, et que l’on va se retrouver littéralement face à soi, que l’expérience va trouver sa résonance la plus profonde, une sorte d’empathie avec soi-même finalement plus curieuse que ludique à expérimenter.

Littéralement face à soi-même, un soi en réalité virtuelle. © Bouillants

« Bugs perceptifs »

« C’est en commençant une recherche sur l’empathie que Philippe Bertrand, un des membres du collectif, a découvert les expériences du groupe Ehrsson à l’institut Karolinska de Stockholm démontrant que l’on peut tromper le cerveau sur la perception du corps dans lequel il se trouve, à l’aide de caméras placées sur une poupée Barbie et de lunettes de réalité virtuelle », explique Arthur Pointeau, membre de BeAnotherLab. « A l’eventLAB de Barcelone, Mel Slater a pu démontrer que prendre le corps d’une personne dont la couleur de peau était différente pouvait réduire le biais implicite que ces personnes ont envers d’autres. Nous avons “hacké” ces procédures pour créer une immersion dans le corps de quelqu’un d’autre, en y ajoutant des éléments performatifs et narratifs. »

La particularité du dispositif de BeAnotherLab, qui a été en résidence au Fab Lab Barcelona et bénéficie du soutien du MIT, réside sans doute dans cette notion d’interférence, de bug entre l’environnement physique et la virtualité de l’expérience qu’il instille. « En fait, nous utilisons l’environnement dans lequel nous nous trouvons au lieu de créer des environnements virtuels », poursuit Arthur Pointeau. « Nous utilisons sa physicalité pour pouvoir toucher, attraper, manipuler tout ce qui nous entoure. Il y a plusieurs bugs perceptifs que nous proposons au cours de l’expérience, dont l’un est de pouvoir se serrer la main à soi-même depuis la perspective de quelqu’un d’autre. En ouvrant le rideau, on révèle la disposition du système, et on amène à une réflexion sur soi-même et l’autre. On essaie de “forcer l’empathie” du cerveau des participants. »

« The Machine To Be Another », développement matériel au FabLab Barcelone (2014):

Evidemment, les réactions des gens face à leur propre vision perçue de l’extérieur s’avèrent très variables.

« Les gens sont désorientés et/ou enthousiastes. Parfois ils s’embrassent sans avoir échangé un seul mot au préalable. Le système crée de toute façon clairement une sensation de proximité qui peut se révéler inconfortable selon les personnes. » 

Arthur Pointeau, BeAnotherLab

Leurs réactions permettent de nourrir un projet encore en phase de développement et ouvert aux améliorations de tous. « Le projet est développé en open source, sous une licence Creative Commons non commerciale Sharealike, souligne Arthur Pointeau. Notre manière de travailler consiste à rencontrer systématiquement les gens pour échanger avec eux sur les usages qu’ils envisagent, sur la façon dont ils voudraient utiliser le dispositif. Nous les encourageons à s’approprier le système et à l’emmener dans la direction qu’ils souhaitent. »

Le site de « The Machine to be another » 

Bouillants, festival art numérique et citoyenneté à Vern-sur-Seiche (près de Rennes), du 4 avril au 31/05/15, exposition à la Laiterie, ateliers, interventions en médiathèque…