Du 19 au 22 mars, ils étaient 600 hackers, start-upers et pros de la médecine à participer au plus grand rassemblement du genre en Europe, le Hacking Health Camp de Strasbourg. Pour lire l’avenir de la médecine dans les protos et les big datas.
Strasbourg, envoyée spéciale (texte et photos)
Le temps d’un long week-end, la sage faculté de médecine de Strasbourg s’est transformée en terrain de jeu pour hackers, start-upers et praticiens hospitaliers à l’occasion du Hacking Health camp, compromis entre un symposium sur la médecine à l’ère des big datas, du 19 au 22 mars, et un hackathon de 54 h sur la santé, rassemblant 600 participants.
Avec ses 50 projets pitchés en une minute, le hackathon alsacien en impose. « Un super shaker à idées », résume Stéphane Becker, président d’Alsace Digitale, l’association qui porte l’événement, le plus important du genre en Europe.
Le premier DigitalHealthCamp organisé en mars 2014 avait déjà attiré une centaine de hackers et des dizaines de professionnels de santé, infirmiers, pharmaciens, médecins, mais aussi associations de patients, « alors qu’au départ, on pensait se retrouver avec 30 gars, trois Savane et deux Oasis ». Depuis, le hackathon a pris de l’ampleur, avatar français du Hacking Health canadien, mouvement favorisant la coopération entre professionnels de la santé et experts technos.
Poids lourds pharmaceutiques
Les poids lourds de l’industrie pharmaceutique, Sanofi en tête, ont bien compris l’intérêt. Pour cette deuxième édition, ils entrent dans la danse pour scruter les bonnes idées. « J’essaie de faire en sorte que tous les acteurs de l’écosystème de la santé soient présents et je demande aux équipes de réfléchir à une hypothèse de business model, même si le projet est à but non lucratif », dit Sébastien Letélié, organisateur du hackathon. « C’est là où Sanofi et Allianz peuvent les aider à trouver des solutions de viabilité économique. »
Pendant qu’il décompte les équipes prêtes à pitcher leur projet devant un amphithéâtre comble, ce développeur de métier explique que l’idée du hackathon lui est venue lorsqu’il codait en direct ses logiciels de gestion de dossiers médicaux aux urgences, histoire d’être raccord avec les besoins des médecins sur le terrain.
Les big datas santé, remède miracle ?
Selon lui, la tendance est à l’éducation thérapeutique et aux serious games. En toile de fond des discussions, l’avenir de la médecine déclinée comme prédictive, participative et personnalisée grâce à l’exploitation des big datas de la santé, véritable manne pour les industriels. Car la mode du quantified self et l’essor des technologies wearable stimulent la production déjà massive des données de santé sur Internet. « Autant d’informations individuelles pouvant améliorer la compréhension des maladies, le développement de médicaments ou le traitement des patients », affirme l’un des participants. Or, l’ouverture de ces données et leur exploitation se heurtent à des questions d’éthique et de respect de la vie privée, l’anonymisation des données étant un véritable casse-tête pour éviter les détournements commerciaux et utilisations abusives de ces infos très persos.
D’où l’omniprésence des avocats, y compris parmi les mentors du hackathon. « L’aspect légal est stratégique, car quand on démarre un projet de santé, on a beau avoir plein d’idées, si on sort des clous d’un point de vue juridique, il faut tout reprendre à 0 », précise Sébastien Letélié. Qui tient à panacher le profil des coachs, dont pas mal de designers « pour réfléchir dès le départ au scénario d’usage des protos ». A l’issue du hackathon, onze projets ont été distingués, parmi lesquels Physio&Connect, une appli sur smartphone qui analyse et enregistre des mouvements effectués par le patient pour optimiser sa rééducation, iPipi pour le suivi urinaire au quotidien ou encore Senometry, une aide pour combattre le cancer du sein grâce aux big datas, élue meilleure innovation en santé.
Du patient-citoyen au patient-hacker
L’objectif principal de Sébastien Letélié demeure le décloisonnement des pratiques et la lutte contre une médecine déshumanisée. « Le patient, c’est nous tous. Pendant le hackathon, 80 % des projets présentés sont centrés lui ». Conscient que les mentalités seront longues à bouger, il constate que la voix des patients-hackers commence à se faire entendre, en particulier sur la question du diabète. « Avant, le médecin décrétait tout. Désormais, la relation au patient devient de plus en plus collaborative, car il souhaite désormais proposer ses propres solutions », affirme Jorge Juan Fernández Garcia, médecin et directeur de la section e-santé et santé 2.0 de l’hôpital Sant Joan de Déu à Barcelone, le plus grand hôpital pédiatrique d’Espagne. Pour sa première participation au Hacking Health Camp, il donnait d’ailleurs une conférence sur l’influence des nouvelles technologies dans les rapports entre praticien et patient.
Selon lui, le constat est général : « Aucun pays n’est satisfait par son système de santé. » En France, l’ouverture des données publiques de santé fait débat. Plusieurs organisations dont le conseil national de l’Ordre des médecins ont demandé à la ministre Marisol Touraine de revoir sa copie sur le volet open data du projet de loi Santé, l’alarmant sur la création d’un système national « concentrant à un niveau jamais atteint en France, et même dans le monde, des données à caractère sanitaire et social de nos concitoyens, y compris des données collectées par des acteurs privés », certaines de ces données étant en outre récupérées « sans le consentement des personnes ». Demandant désormais le retrait pur et simple du projet de loi, les médecins appellent à une nouvelle journée santé morte le 31 mars. Les chemins de la démocratie sanitaire restent chaotiques.
Retrouvez ici les différents projets pitchés lors du Hacking Health Camp
Le programme du Hacking Health Camp de Strasbourg