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Florent Youzan, le défenseur du logiciel libre en Afrique

Cyriac Gbogou et Florent Youzan, les tontons des logiciels libres en Afrique. © Ovillage

En Côte d’Ivoire, l’ingénieur Florent Youzan, promoteur inlassable du logiciel libre, est le co-fondateur d’Ovillage, un tiers-lieu d’Abidjan où se co-créent des projets d’innovation sociale, basés sur l’open source.

L’Afrique sera-t-elle le continent du libre ? Alors que la culture de l’open source est un des fondements du mouvement maker, le logiciel libre n’est pas vraiment le pré-requis des labs français. Certains développent leurs projets sans se préoccuper du partage et de la coopération. En Afrique au contraire, le logiciel libre est souvent la première pierre pour l’entrepreneuriat des jeunes, et le véritable levier d’une transformation sociale en marche. En Côte d’Ivoire, Florent Youzan fait figure de Richard Stallman africain qui défend et développe à partir de ces logiciels au code source ouvert une autre façon de régler les problèmes du continent.

C’est pendant ses études en sciences informatiques que Florent Youzan découvre les logiciels libres. Depuis quinze ans maintenant, cet ingénieur en informatique se bat pour le libre : les outils numériques et les logiciels libres contribuent selon lui aux recettes pour concevoir des réponses locales adaptées aux problèmes quotidiens des Africains.

« Par les logiciels libres, j’ai compris que la jeunesse africaine pouvait prendre le pouvoir sur l’incompétence, l’ignorance et le chômage. » La lettre de Florent Youzan aux Africains

Un logiciel… quoi ?

Quatre règles, liées au respect des libertés fondamentales, régissent le logiciel libre : liberté d’utilisation sans restriction ; liberté d’étude du fonctionnement ; liberté de modification pour l’adapter aux besoins (accès au code source) ; liberté de partage des modifications et de contribution aux améliorations en cours. Le logiciel libre place l’utilisateur au centre du processus, comme acteur de ses droits.

En Afrique, les étudiants sont formés sur des logiciels propriétaires dont les licences leur seront financièrement inaccessibles quand ils sortent de l’école. Pour Florent Youzan, la solution se trouve en amont, avec l’implantation des logiciels libres dans les écoles, pour permettre aux jeunes de ne plus pirater les outils une fois leurs études terminées tout en comprenant le fonctionnement du logiciel. Une fois le code source accessible, modifiable, adaptable, partageable, la créativité se libère et le logiciel revêt son véritable rôle d’outil au projet.

« Chaque problème d’un Africain est une idée d’entreprise. » Florent Youzan

Un après-midi Oboulot à Ovillage. © Ovillage

Akwaba Ovillage

Dans la zone 4 d’Abidjan, akwaba (bienvenue) Ovillage, le tiers-lieu co-fondé par Florent Youzan. Une pièce chaleureuse aménagée de deux grandes tables, trois sièges d’avion récupérés en guise de canapé, un écran TV, un grand mur de partage d’idées, une bonne odeur de garba qui embaume, mais surtout une communauté dynamique de villageois, geeks et moins geeks, qui se crée chaque jour. Un véritable espace de vie partagé, où le coworking et tous les moments off (repas communs, après-midis lecture, etc.) permettent une montée en compétences partagée. Celui qu’on surnomme le « chef du village », Cyriac Gbogou, co-fondateur du lieu et wikipédien plus que confirmé, est ainsi engagé dans la documentation pour son continent, à travers la récente initiative HelloAfrika. Un seul mot d’ordre : le libre.

Ovillage a été aménagé avec des mobiliers de récup’. © Ovillage

Forts de l’émulation créée par l’intelligence collective, des projets en phase avec les réalités de leurs territoires et socialement innovants émergent. L’informatique n’est pas qu’une affaire de geek, le citoyen a sa place dans la culture du libre, et est impliqué dans le projet, défend Florent Youzan. Ovillage encourage l’entrepreneuriat des jeunes avec le libre, comme par exemple avec OpenDjeliba. Cette plate-forme permet de produire et partager du contenu grâce à un hashtag envoyé par SMS à un serveur hébergé sur un ordinateur Jerry. Ce projet 100% logiciel libre a été développé à zéro franc, et s’adosse à un ordinateur reconstitué dans un bidon en plastique, à partir d’éléments fonctionnels recyclés et ré-assemblés.

« En Afrique, il y a plus de téléphones mobiles que de brosses à dents. » Florent Youzan

OpenDjeliba, porté par Serge Mian, lauréat du Forum International Francophone de la Jeunesse et de l’Emploi Vert (FIJEV) à Niamey en 2014, pallie le manque de système d’informations et d’alertes repéré au sein des populations vivant une fracture numérique. Mais en dépit d’un accès internet limité voire impossible, l’ensemble de la population est connecté au réseau GSM. Outre sa dimension sociale, OpenDjeliba peut générer des revenus, en déployant des services d’informations supplémentaires accessibles par SMS surtaxés.

Présentation d’OpenDjeliba :

Pour Florent Youzan et Ovillage, l’éducation numérique par le logiciel libre contribue à réduire la fracture numérique. Les villageois sont également impliqués dans l’organisation de JerryMarathons, destinés à démocratiser l’outil informatique et à promouvoir la philosophie du logiciel libre. Ainsi, de jeunes élèves découvrent l’informatique directement sous GNU/Linux.

Des freins à l’innovation ascendante

Cependant, si « le chemin est long mais la voie est libre », la route de l’innovation ascendante s’avère également semée d’embûches. Il y a deux semaines, les villageois ont eu la mauvaise surprise de constater que l’un des projets qu’ils soutenaient, un serveur SMS de déclaration de naissances en milieu rural, allait être développé par le gouvernement ivoirien en collaboration avec Orange et ce, sans impliquer le porteur du projet, pourtant récompensé d’un prix national…

Pour aller plus loin :
54 raisons pour que l’Afrique choisisse le logiciel libre, par Wilfried N’Guessan
Carte des tiers-lieux en Afrique, par Florent Youzan