Makery

Collectif Exyzt: douze ans de machines à habiter

Photo de fin de chantier d'Exyzt & friends devant le sauna installé dans la cour de la Panacée à Montpellier. © Tropisme-Benoit Lorent-Studio-Public

Le collectif Exyzt exp(l)ose douze ans d’architectures temporaires au festival Tropisme de Montpellier. Ce best-of marque aussi le point final d’un collectif aujourd’hui dispersé en Europe.

EKTOP, Nuit Blanche 2005, Paris. © Exyzt

Montpellier, envoyé spécial

Pour sa deuxième édition, le festival Tropisme et sa formule étalée sur trois semaines a choisi pour thème la « machine à habiter ». A La Panacée, les espaces habituels du centre de culture contemporaine de Montpellier sont réattribués en salle de concert, studio de radio, disco pour enfants ou salle pour la sieste, imprimerie, etc. Exyzt en investit une bonne partie, au côté de projets vus à la Gaité lyrique à Paris en 2014 pendant Capitaine Futur. Après un petit sauna temporaire installé dans la cour centrale, on se fait ainsi tirer le portrait par Studio Public (le dispositif rappelle le clip de la chanteuse argentine La Yegros).

« Who Are You ? » © Exyzt / Tropisme / Julie Guiches

En 2004, je croisais pour la première fois le collectif Exyzt au Syndicat Potentiel à Strasbourg, leur ville d’origine, autour d’un workshop réflexif et pratique, Open Source City, qui rassemblait hackers, makers, théoriciens et psychogéographes. Exyzt venait de réaliser « L’architecture du RAB » à Paris, projet de fin d’études remarqué, sur un terrain en friche, à la convergence du canal et du parc de La Villette, au niveau du quai de Metz. Ses cinq fondateurs, Gil Burban, Nicolas Henninger, Philippe Rizzotti, Pier Schneider et François Wunschel, avaient activé et habité pendant près d’un mois ce « RAB urbain », construisant un lieu modulaire à partir d’échafaudages.

Fablab avant l’heure

Exyzt y défendait l’idée qu’il était possible de trouver des méthodes de fabrication accessibles au plus grand nombre. Pour Nicolas Henninger, président de l’association, l’idée de fablabs travaillant avec des technologies non propriétaires était sous-jacente : « La construction est un domaine qu’on recadre sans cesse : avec les règles, avec les systèmes propriétaires, avec des entreprises qui sont certifiées conformes à la mise en place de telle ou telle technique. Il existe certainement des domaines où il est important de faire appel à des spécialistes, mais il y en a d’autres où l’on pourrait laisser faire les utilisateurs. C’est toujours ce qui nous a guidé. »

EASA, la Condition publique, Roubaix, 2004. © Exyzt

Cette même année, Exyzt usait de son protocole de construction pour l’European Architecture Students Assembly (EASA) et l’hébergement de 450 étudiants à la Condition publique de Roubaix durant Lille 2004. Des kits cube-habitat étaient mis à disposition des étudiants pour construire leur espace de nuit, à partir de ce matériau très simple qu’est l’échafaudage, préfabriqué, fait en usine et suffisamment modulaire pour se transformer en jeu d’auto-construction.

Exyzt partage alors un atelier au Point éphémère, à Paris, avec Encore Heureux, autre jeune collectif d’architectes, aujourd’hui en charge du site des négociations de la grande conférence sur le climat au Bourget en fin d’année. Juste en face se trouvent les graphistes du collectif Tomi. C’est là que le collectif prend son envol, en s’augmentant d’autres architectes, de graphistes et photographes (Julien Beller, Christophe Goutes, Brice Pelleschi, Dagmar Dudinsky, Gonzague Lacombe, Studio Public, Stéphanie Grimard, Frédéric Keiff, etc.) et en trouvant sa forme optimale, entre jeu d’auto-construction, mapping vidéo, esthétique street art, documentation riche et films stop-motion montés rapidement. Ils investissent un atelier rue Hauteville à Paris, le Château Cyborg, et développent un style que l’architecte et théoricien Pedro Gadanho, aujourd’hui commissaire en architecture et design au MoMA de New York, qualifiera de « performance architecture ».

 Projet «Der Berg», collectif Exyzt, Palast der Republik, Berlin, 2005 :

« C’est vrai que nous avons beaucoup opéré dans les festivals et la performance, admet Nicolas Henninger. Au-delà du côté impressionnant de construire vite, l’important, c’est de donner envie de construire ensemble. On défend surtout un moment humain, partagé, qui ouvre de nouveaux horizons. Les agences plus traditionnelles vont aujourd’hui vers ce type de projet, mais comme elles ne pensent qu’à trouver comment exploiter les étudiants, eux ne viennent pas. »

« L’important n’est pas tant le résultat que la façon dont cela s’est construit, la façon dont le projet vit, la joie de construire, de transformer un espace. » Exyzt

« C’est à la portée de tout le monde, ajoute Nicolas Henninger. Cette idée que l’on veut transmettre par son aspect performatif, cette idée du making, de l’empowerment, pour permettre aux gens d’agir sur leurs conditions de vie. » Nicolas, qui vit aujourd’hui à Londres, enseigne au Central Saint Martins College of Art and Design où il organisait pas plus tard que la semaine dernière une « maker week ».

Nicolas Henninger pendant le montage à la Panacée. © Exyzt / Tropisme / Julie Guiches

De 2004 à 2007, date de l’entrée de la Lettonie dans l’Union européenne, le collectif planche sur LabiChampi, champignonnière poussée sur les ruines des bâtiments de l’époque tsariste, dans les blocs de l’ancien port militaire soviétique de Karosta, en Lettonie, en partenariat avec le centre culturel K@2. Cette expérience forte, ouverte à de multiples participations –j’en étais !–, fut « initiatique », se souvient Nicolas, en leur permettant de prendre conscience « de l’importance d’aller au-devant des projets, de solliciter les situations, de les prendre à bras le corps, de suivre une intuition ». A Karosta, ghetto russe en proche banlieue de Liepaja, K@2 développait un projet de lieu utopique qui a inspiré de nombreux acteurs culturels et artistes d’Europe. Le lieu a malgré tout fermé à la fin de la décennie, suite aux pressions politiques de la mairie de Liepaja.

Le quartier de Karosta, situé à l’extérieur de la ville de Liepaja en Lettonie. © Exyzt
Mapping de François Wunschel à Karosta pour LabiChampi. © Exyzt / LabiChampi / Cyrille Weiner

L’utopie, c’est aussi ce qui guide les machines à habiter d’Exyzt. Leurs références sont multiples, qui vont de l’abbaye de Thélème, ce lieu décrit par Rabelais sans hiérarchie ni conflit, où tu « fais ce que tu voudras », le phalanstère de Charles Fourier, sorte d’hôtel coopératif aux espaces partagés, « l’architecture de la jouissance » d’Henri Lefebvre ou encore l’Urbanisme Unitaire des situationnistes, une « théorie de l’emploi d’ensemble des arts et techniques concourant à la construction intégrale d’un milieu en liaison dynamique avec des expériences de comportement ». Une utopie qui sera revendiquée à la biennale d’architecture de Venise en 2006 sous la direction de Patrick Bouchain, avec le projet MetaVilla, une machine à habiter centrée autour de la cuisine et des bains installée dans le Pavillon français.

Repas collectif à la MetaVilla, Pavillon français de la biennale d’architecture, 2006. © Exyzt et Patrick Bouchain
Les bains de la MetaVilla, Pavillon français de la biennale d’architecture de Venise 2006. © Cyrille Weiner

Après les aventures MetaVilla et LabiChampi, le collectif se divise. Pier Schneider et François Wunschel s’associent pour créer 1024 Architecture, pour des projets d’architectures lumière et mapping, avec lesquels ils feront le tour du monde, du Square Cube pour Étienne de Crecy au Tesseract dans l’immense base sous-marine de Bordeaux en 2014, mais aussi sur des projets plus pérennes, comme la Fabrique de la Ville à Saint-Denis, l’installation 24 Lignes à La Panacée ou leur récente intervention Vortex au Darwin Eco-Système de Bordeaux qui donne à visualiser la consommation énergétique. Philippe Rizzotti expose une Situation Room Exyzt au Storefront for Art & Architecture de New York et monte son agence. Gilles Burban poursuit l’aventure du champignon urbain avec Polypop, qui intègrera l’incubateur du CentQuatre à Paris.

The Dalston Mill, Londres, 2009. © Exyzt
Southwark Lido, Union Street, Londres, 2008. © Exyzt
The Reunion, Union Street, Londres, 2012. © Exyzt / Julie Guiches
The Lake, Union Street, Londres, 2013. © Exyzt

Exyst n’est pas mort pour autant : d’autres constructeurs et architectes rejoignent l’aventure. Sara Muzio, Alexander Romer, Daya Bakker, Emmanuel Macaigne, Mattia Paco Rizzi… Difficile de tous les citer : Exyzt rassemble de plus en plus de monde, et opère en Pologne, en Allemagne, au Portugal, en Hollande… C’est particulièrement à Londres qu’Exyzt parfait son protocole de coopération de défense des constructions saisonnières. Une manière de réduire les coûts, de penser des lieux sociaux, des jardins partagés, des bains publics, selon une vision durable, où l’investissement en matériel est limité. Apparaîtront ainsi à Londres sur Union Street les bains Southwark Lido (2008), The Dalston Mill (2009) dans Hackney, puis toujours sur le site de Union Street, The Reunion (2012) et The Lake en final, encore au bord de l’eau, en 2013.

« Ces projets sont souvent cités par les mairies en Angleterre comme exemple de projets temporaires, affirme Nicolas. D’autres collectifs comme Assemble Studio ou Practice Architecture ont depuis développé leur propre pratique. Les gens se sont dits “c’est possible”, nos projets ont servi de base à d’autres. Ainsi, le collectif Ooze que nous avions rencontré au festival Evento à Bordeaux en 2011 fait aujourd’hui la première piscine naturelle de Londres, avec traitement de l’eau par phyto-épuration. »

Une archi éphémère et balancée

La « méthode » Exyzt repose sur l’équilibre : « Même si c’est temporaire, il faut trouver la balance pour que ce ne soit pas une débauche de moyens. On doit beaucoup à Raf Salis qui a ramené cette approche bricole, cet esprit de résilience. Pour des jeunes qui ont été mis en marge, dans des quartiers qui manquent d’école, ce type de projet peut permettre d’apprendre à s’organiser, de se sentir capable de le faire, de retrouver un goût au travail. L’action temporaire permet de montrer l’intérêt de construire des choses simples. Comme dans nos projets sur l’eau, il n’est pas forcément nécessaire de construire une piscine olympique. On peut avoir un autre rapport à l’eau, comme Oasis à Vitrolles en 2013, où on a remis en fonction une fontaine, avec des jeux pour enfants, des brumisateurs, pour créer un autre rapport, plus ludique, à la fontaine. Le projet avait aussi une fonction dans l’espace public, il a donné du job à des jeunes pendant trois mois. »

Le projet Oasis en 2013 permet de penser un autre rapport à la fontaine, plus ludique. © Exyzt

À l’occasion du projet Oasis, Exyzt a retrouvé les collectifs Etc, Bellastock et les Saprophytes. « J’aime beaucoup le travail de Bellastock et le festival de making qu’ils organisent sur trois jours. J’aimerais mettre ça en pratique avec des étudiants, à la Rural Studio qui travaille depuis des années dans un des territoires les plus pauvres des États-Unis. Certes, on ne peut pas avoir le même discours dans un centre d’art comme La Panacée où il y a déjà tout ce qu’il faut. Ici, on habite le centre d’art, pour faire en sorte qu’il soit possible de venir avec ses enfants, sa famille, ses amis, s’approprier le lieu. Habiter la culture, c’est important, même si les centres d’art ne sont pas notre finalité. »

Réunion de travail du collectif Exyzt lors du projet Southwark Lido en 2008. © Exyzt

Les désormais Ex-Exyzt continueront à développer des stratégies pour l’espace public, des projets temporaires sur des terrains en friche, à créer de l’emploi local, de la formation et d’autres économies. Ils développent des protocoles plus structurés, pour des situations et quartiers plus difficiles, « où les gens ont encore plus besoin de reprendre confiance en eux ». Mais ils s’intéressent également au « team building » du monde de l’entreprise.

« Au lieu d’organiser des voyages culturels ou du saut à l’élastique, pourquoi une entreprise ne paierait-elle pas chaque année pour que son équipe construise un lieu ensemble, un lieu qui aurait une fonction et une utilité dans la ville ? Ces lieux pourraient être temporaires, ils pourraient travailler avec des propriétaires de terrain, sur des périodes de transition entre différents usages, dans ce meanwhile use des terrains en attente de re-développement. Ces actions pourraient permettre de multiplier les structures à moindre coût, permettre à des start-ups et des micro-initiatives locales de trouver des infrastructures pour tester leurs projets. »

Machine à habiter, jusqu’au 15 mars à La Panacée à Montpellier