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Vers une Fabcity à São Paulo?

São Paulo s'inspire de la Fabcity barcelonaise. © CC by SA Nicolas de Camaret

La ville de São Paulo choisit d’investir massivement dans la création de douze fablabs, dans la continuité des télécentres qui initiaient à l’Internet. Avec neuf millions de réals à la clé et un financement acquis sur deux ans, ces lieux plus ou moins équipés seront accessibles gratuitement.

São Paulo, de notre correspondant

Les bruits de couloir n’en sont plus. Il y a quelques mois, on vous disait qu’à São Paulo, le maire envisageait de doter sa ville de fablabs « municipaux ». Cette volonté politique ambitieuse s’est exprimée publiquement à l’occasion du festival Campus Party par la voix de Simão Pedro Chiovetti, directeur des services de la ville. Si l’appel à projet n’a pas encore été publié, les grandes lignes en ont été révélées avec la mise en place de 12 nouveaux fablabs distribués sur tout le territoire de São Paulo.

Les projets de Fabcity pauliste et barcelonaise partagent une ambition commune en nombre de lieux, financés en partie par les pouvoirs publics, mais la philosophie qui les anime est très différente. La Fabcity barcelonaise se veut le fer de lance d’une rupture urbanistique et organisationnelle de la ville en passant du Pito (Product In – Trash Out) au Dido (Data In – Data Out). Les fablabs y jouent le rôle d’ateliers locaux en réseaux capables de répondre aux demandes des habitants. Lors de la conférence Fab10 à Barcelone, le maire avait symboliquement appuyé sur un bouton faisant de la ville la première à être totalement soutenable à l’horizon de 40 ans.

Des bits aux atomes

A São Paulo, lors de la présentation publique du projet, le directeur des services a lié le sort du réseau public des 158 Rede publicas de telecentros, les télécentres (équivalent aux Etablissements publics numériques –EPN) et des fablabs. La fréquentation des télécentres décline, et la ville capitaliserait sur leurs pratiques d’accueil et de médiation pour en transformer certains en fablabs. Après avoir permis à la population d’accéder et se former gratuitement aux usages de l’Internet, São Paulo passerait des « bits aux atomes ».

Pour ce faire, la municipalité met sur la table 9 millions de réals (3 millions d’euros) sur deux ans, dont 2 millions pour l’équipement et 3,5 millions par an pour faire tourner les lieux. Les espaces choisis, répartis entre quartiers riches et quartiers plus populaires, existent déjà, ils appartiennent à la mairie qui prendra en plus à sa charge le loyer, électricité, etc.

Les lieux d’implantation des fablabs municipaux de São Paulo. © Fabien Eychenne

Sur les 12 fablabs prévus, 4 seront de « grands laboratoires » très bien équipés qui disposeront de toutes les machines à commande numérique classiques d’un fablab et de quelques machines plus traditionnelles, comme des machines à moulage sous vide. Les huit autres projets, des « petits laboratoires », n’auront ni défonceuse ni grande découpe laser, mais retrouveront les autres équipements des fablabs.

Un diplôme fablab

Côté usages, la municipalité défend une continuité avec les télécentres : il s’agira d’offrir un accès aux fablabs en s’appuyant sur des modules de formation, une e-inclusion de la fabrication numérique. Les « petits laboratoires » auront pour objectif de démystifier l’usage des machines lors de sessions découverte et de réalisation de petits projets.

Les « grands laboratoires » permettront d’accéder à trois niveaux de formation: de courts workshops à l’usage d’Arduino ou aux logiciels de modélisation 3D, des sessions étalées sur plusieurs jours pour développer des projets plus complexes, et même une formation de plusieurs mois proche de ce que pourrait être la Fab Academy. Son objectif sera de former à l’usage de toutes les machines et techniques. Cette dernière formation sera sanctionnée par une certification municipale. Les compétences en programmation et en maîtrise de la fabrication numérique seront un des enjeux en terme d’emploi dans les années à venir, estime la mairie.

Logiciels libres et gratuité

Héritage probable de la politique en faveur du logiciel libre dans les télécentres menée par l’ancien ministre de la Culture et musicien Gilberto Gil, les fablabs municipaux ne seront équipés que de logiciels libres. Enfin, et c’est ce qui est assez étonnant, tout usage sera gratuit : formation, ateliers tout comme les menus services de découpe et d’impression.

Un projet “top-down” loin de l’esprit lab

La présentation du projet, ambitieux en terme de moyens et de volonté politique, soulève néanmoins de nombreuses questions. En effet, ce projet ne sera pas mené par la municipalité elle-même, mais à travers une délégation de service public soumise à un appel d’offre. Une problématique similaire à la Fabcity barcelonaise où les gagnants de l’appel d’offre n’étaient peut-être pas les plus proches de l’écosystème en place. La question se pose d’autant plus dans une ville où le concept de fablab lui-même est très jeune.

Plusieurs membres de l’association Fab Lab Brasil craignent l’aspect très top-down du projet, aussi bien dans le choix des lieux que des activités. Là encore, l’expérience de la Fabcity de Barcelone, dont certains lieux d’implantation des fablabs ont été rejetés par les habitants eux-mêmes, pose la question d’une politique qui n’a pas pris en compte les futurs usagers. Le côté top-down dans le choix des activités est également un motif d’inquiétude pour les familiers des fablabs paulistes. Le plan présenté par la municipalité est assez loin du « joyeux bordel » qui peut régner dans les labs, et s’approche davantage d’une structure dédiée à la formation et aux petits services de découpe et d’impression.

Le « faire soi-même » est inexistant dans le discours. D’ailleurs, seules les personnes ayant suivi la formation de longue durée pourront utiliser le lieu sur le long terme. Les entrepreneurs et autres porteurs de projets locaux ne devraient pas avoir accès aux fablabs dans le cadre de projets commerciaux, ce qui pose la question de l’écosystème, mais plus largement, de la pérennité de ces lieux. Et la question de l’après est elle aussi posée. Que se passera-t-il en 2018, après les deux années durant lesquelles la municipalité paiera pour tout ? Dans un pays où les alternances politiques peuvent être brutales pour les projets menés par les équipes précédentes et avec un maire du Parti des Travailleurs élu à l’arraché, dont le mandat sera remis en jeu dans deux ans, la question est déjà d’actualité !