La «révolution maker» est-elle financée par les pouvoirs publics en France ? Quel bilan peut-on tirer de l’appel à projets «d’aide au développement des ateliers de fabrication numérique» lancé en décembre 2013 par les ministres de l’Economie numérique et du Redressement productif ? Enquête auprès des destinataires d’une partie des 2,2 millions d’euros distribués.
Le 13 décembre 2013, Fleur Pellerin, alors ministre de l’Economie numérique et Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, dévoilaient la liste de 14 fablabs retenus parmi 154 candidats de l’appel à projets « Aide au développement des ateliers de fabrication numérique ».
Lancé le 25 juin 2013 par la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) pour soutenir la création et le développement des fablabs, l’appel à projets, raccourci en « appel à projet fablabs » par la communauté maker, a été financé à hauteur de 2,2 millions d’euros, à répartir entre les 14 heureux élus pour couvrir leurs dépenses d’investissements. A charge pour chacun de solliciter une subvention comprise entre 50.000 et 200.000 euros, représentant au maximum 70% du montant total du projet présenté. Les conventions signées avec l’Etat fin 2013 et début 2014 prévoyant une durée maximum de deux ans pour chaque projet, certains sont plus avancés que d’autres.
« Nous aurions aimé sélectionner plus de 14 fablabs », avait déclaré le ministre du Redressement productif. Dans le cadre des investissements d’avenir, les projets de fablabs étaient également éligibles au label French Tech, quant à lui doté de 215 millions d’euros, avait-il précisé, et « le mouvement serait soutenu ». Certaines structures existaient déjà au moment des candidatures, mais l’appel a également permis la création d’une dizaine de nouveaux ateliers de fabrication numérique répartis un peu partout sur l’ensemble du territoire. Malgré leur diversité de taille, de structure et d’écosystème, ces fablabs ont en commun un profil orienté entrepreneuriat.
Pour l’heure, aucune nouvelle annonce en vue, le ministre de l’Economie a été remplacé et malgré nos sollicitations, Axelle Lemaire, la secrétaire d’Etat chargée du numérique auprès du ministre de l’Economie, n’a pas souhaité nous en dire plus sur le suivi de cette politique de soutien à la fabrication numérique.
Makery a cherché à savoir à quoi avait servi ce soutien aux fablabs. Un an après, comment les fabmanagers ont-ils utilisé ces aides pour lancer ou pérenniser leur projet ?
Nicolas Bard, ICI Montreuil :
« L’appel à projets nous a permis de tourner à plein régime »
Immense makerspace déjà bien établi au moment du lancement de l’appel à projets, ICI Montreuil accueille plus de 150 résidents artistes, artisans, entrepreneurs et start-ups sur les 1.700 m2 d’une ancienne usine de matériel électrique en proche banlieue parisienne. Sa particularité ? L’ensemble est géré en mode coopératif par une SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif) créée en janvier 2013.
« Nous ne sommes ni vraiment un fablab, ni un espace de coworking, ni un incubateur, mais une usine de création, un lieu professionnel qui permet aux entrepreneurs de se connecter et de développer leur activité artistique et technologique », dit Nicolas Bard, responsable de la coopérative qui a récemment inauguré son tout nouveau fablab. « L’aide de l’appel à projets nous a permis de tourner à plein régime. » La subvention a été utilisée aux deux-tiers, précise-t-il, pour financer l’embauche du fabmanager à temps plein et d’un assistant à temps partiel, l’objectif étant de renforcer l’expertise des équipes de fabrication en conception, prototypage et pré-industrialisation, « car des machines sans compétence ne servent à rien ».
Ces subventions arrivent après les investissements, estime-t-il. Car au moment où la première tranche a été versée en juillet 2014, le makerspace accueillait déjà 140 résidents et ses activités étaient opérationnelles à 90%. « Après 10 mois d’activité, nous étions déjà rentables », affirme-t-il. « Mais la rentabilité ne peut être obtenue qu’à partir d’une certaine échelle d’activité. »
Au-delà de la création d’emplois, Nicolas Bard pense surtout que cet appel à projets permet au ministère de scruter l’émergence de nouveau business modèles et de définir de bonnes pratiques entrepreneuriales. Une première réunion pour faire un point intermédiaire s’est déroulée avec les représentants de l’Etat en octobre 2014.
« Ils suivent vraiment le projet et veulent comprendre comment ça marche, l’appel à projets fablabs est comme un vaste laboratoire d’observation pour eux. » Il n’attend cependant pas d’annonce pour un prochain appel avant le début… 2016, et déplore en attendant le manque de liens entre les fablabs, y compris avec ceux qui n’ont pas été sélectionnés, et réfléchit à des solutions pour davantage de synergies.
Romain Chefdor, Manche Lab :
« La mise en œuvre a été assez longue »
Seul fablab mobile retenu par l’appel à projets, le Manche Lab est une caravane itinérante qui navigue à travers tout le département de Basse Normandie. Découpe laser et vinyle, scanner et imprimante 3D, fraiseuse, kits de prototypages rapide… L’essentiel d’un fablab en mode compact.
Le projet a récolté 62% de subventions pour couvrir l’investissement de 113.000 € pour l’achat et l’aménagement de la caravane, l’achat des machines-outils, du matériel informatique et de l’électronique. « Au départ, on n’était pas vraiment au courant de cet appel à projets, ce sont les collectivités et la CCI qui ont approché notre équipe », dit Romain Chefdor, chef de projet chez Manche Numérique à l’initiative du concept.
Les contraintes étaient nombreuses, rappelle-t-il. Malgré une forte densité d’Etablissements publics numériques (EPN) dans la Manche, qui dénombre 45 lieux numériques, le public est souvent éloigné des établissements à cause des temps de trajets très longs pour parcourir un département rural configuré tout en longueur. Se rapprocher des usagers était ainsi une nécessité, d’où l’idée de concevoir un outil mutualisé et mobile. « La mise en œuvre a été assez longue. Comme nous sommes une structure publique, nous avons dû passer par une procédure d’appel d’offres pour acquérir les équipements. » Le Manche Lab a été inauguré le 14 novembre 2014 et une vingtaine d’animateurs d’EPN ont été formés pour l’animer. « Nous ne nous sommes jamais cachés d’être un petit fablab et nous n’avons pas vocation à faire une V2 du Manche Lab, ajoute Romain Chefdor. Si nous présentons un dossier de candidature lors d’un futur appel à projets, ce sera sans doute pour développer autre chose. »
Daniel Kern, fablab Côte d’Opale :
« On ne peut pas vivre que de subventions »
Le projet de création du fablab Côte d’Opale, porté au ministère par le club d’entreprises Tektos Business Club, a été soutenu par des poids lourds : la Chambre de commerce (CCI) Côte d’Opale, SNCF Développement, Vivendi, l’Université ULCO, la ville de Calais et une cinquantaine d’entreprises.
La création du fablab répondait à des besoins de développement économique territorial et de soutien à des projets de start-ups. Le fablab s’est d’ailleurs installé sur le site de la pépinière Doret, dans la zone artisanale de Calais au premier trimestre 2014, malgré une inauguration tardive, le 13 février prochain (oui, donc en 2015). « Nous avons sollicité 200.000 euros dans le cadre de l’appel à projets, dont une partie est encore en attente », explique Daniel Kern, enseignant à la retraite et président du fablab Côte d’Opale depuis décembre 2014.
Une première tranche de 60.000 euros a été allouée pour acheter du matériel et salarier le fabmanager. Après l’audit du fablab par les représentants du ministère, le 18 mars prochain, une deuxième tranche de 100.000 euros sera versée. « J’ai senti qu’ils observaient attentivement comment évoluent nos fablabs, quelles voies ils prennent, car je pense que leur intérêt n’est pas que l’emploi ou le public, mais aussi les nouvelles formes d’entreprises. »
En complément de ce financement public, la SNCF et Vivendi apportent chacun 30.000 euros, sans compter les facilitations de mise à disposition de personnel et de locaux par la CCI. « Il est important que les territoires se posent la question des moyens alloués à leurs ambitions. Car si le fablab devient une pierre angulaire du tissu économique local, on peut accepter qu’il perde un peu d’argent les trois premières années, pourvu qu’il y ait une véritable perspective économique derrière. On ne peut pas vivre que de subventions », explique Daniel Kern pour évoquer le soutien unanime des entreprises et des collectivités locales.
Olivier Daïrien, Fabmake Nantes :
« Une aide pour les investissements de départ, l’équipement et mon embauche »
A mi-chemin entre recherche et industrie, le FabMake de Nantes a été inauguré le 30 septembre 2014. Implanté sur le Technocampus, ce fablab a bénéficié d’entrée de jeu d’un budget d’investissement conséquent de 500.000 euros, dont 200.000 euros de dotation d’État au titre de l’appel à projets, et 300.000 euros en financement direct de l’Institut de Recherche Technologique Jules Verne. De quoi être opérationnel depuis le 8 septembre 2014.
« Les subventions de l’appel à projets nous ont surtout aidés pour les investissements de départ pour l’équipement et pour mon embauche. Car c’était important dans ce projet d’avoir quelqu’un de disponible dès la création du fablab », explique Olivier Daïrien, le fabmanager de 25 ans engagé en avril 2014.
Aujourd’hui, le Fabmake compte 50 adhérents, aussi bien Airbus que des petits porteurs de projets. « On touche tous les publics, les acteurs de l’éducation, le monde académique, la recherche, les start-ups… c’est ce qu’on souhaitait. » L’activité du Fabmake monte en puissance. Un poste supplémentaire pourrait d’ailleurs se créer dans le courant du premier semestre.
Pour 2015, Olivier Daïrien envisage un déménagement dans un espace plus grand, tourné vers des machines plus pointues. Et compte sur une deuxième vague d’investissement, bien que les financements restent encore à trouver, en attendant de représenter un dossier de candidature pour le prochain appel à projets. « Quoi qu’il en soit, il y aura bien une V2 du Fabmake. »
Filipe Franco, fablab Orléans :
« Ça nous a tout simplement permis d’exister »
Encore en plein travaux, le fablab Orléans est hébergé sur le site de Polytech Orléans. « Comme nous avions assez de matériel, nous avons organisé l’ouverture officielle le 27 octobre 2014 et là, nous entamons l’aménagement de trois plateaux et d’un mini espace de coworking, ce qui ne nous empêche pas de recevoir le public », explique Filipe Franco qui gère ce fablab de 250 m2 employant deux personnes à temps plein.
Plutôt dédié aux TPE et PME, le projet a été porté par Orléans Val de Loire Technopole, en partenariat avec l’université d’Orléans et d’autres partenaires économiques, des établissements de formation, de transfert de technologies et des associations, avant d’être incubé pendant deux ans. « L’appel à projets nous a clairement donné de la crédibilité », ajoute Filipe Franco qui préfère ne pas s’étendre sur le montant de l’enveloppe, située « dans la moyenne entre 100.000 et 200.000 euros ».
Le fabmanager, pour qui « c’est la qualité de l’accompagnement qui compte », tient cependant à ce que le fablab soit accessible à tous les publics et propose différents types de temps de travail, des Openlabs les mercredis en passant par les ateliers de formations, des ateliers d’initiation aux machines ou des workshops. Pour résumer, « l’appel à projets nous a tout simplement permis d’exister ».
Les 14 fablabs lauréats de l’appel à projet gouvernemental :
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