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Sam Meech met du glitch dans le tricot

Détail de la machine à tricoter à cartes perforées hackée par Sam Meech. © Ewen Chardronnet

«8 hours», c’est ce qui était inscrit à la fin de la Transmediale de Berlin sur l’immense banderole tricotée par l’artiste anglais Sam Meech et les participants de son atelier de métiers à tricoter hackés, dans le cadre du projet «Punchcard Economy».

Berlin, envoyé spécial (texte et photos)

Sam Meech expliquant son projet et ses cartes perforées lors d’un atelier Digital Knitting à la Transmediale.

Jusqu’à sa rencontre avec le métier à tricoter KH950 de chez Brother, Sam Meech avait une pratique d’artiste vidéo et arts numériques, et un intérêt pour les associations de quartier de sa ville de Manchester. Depuis plusieurs années en effet, Sam Meech filme la vie du club de foot, des associations de résidents, d’associations caritatives, etc. Jusqu’à ce jour de 2012, où il rencontre le groupe de couture Nephra du Nord Manchester et tombe doublement amoureux, de la machine Brother et de la passion du groupe pour ces métiers électroniques à carte perforée.

Les communautés autour des machines à tricoter Brother existent depuis de nombreuses années, mais pour Sam, c’est une révélation. Il y voit converger nombre de ses centres d’intérêt : l’histoire du textile dans le Nord-Ouest de l’Angleterre, les liens entre les origines de l’informatique et les métiers à tisser Jacquard à cartes perforées, les possibilités de hack par l’envoi de fichiers informatiques, les questions autour du travail et du social.

La machine à tricoter électronique Brother KH950 de Sam Meech.

« J’ai été stupéfait par les parallèles entre cartes perforées et rouleaux de pellicules, entre aiguilles et pixels », explique Sam Meech à Berlin, devant ses machines qui attendent les participants de l’atelier de tricot numérique qu’il anime. Et de raconter comment il plonge alors à corps perdu dans le tricot numérique avec son projet Digital Knitting, en suivant la voie d’autres artistes ayant hacké les machines à tricoter électroniques et développé des logiciels pour leur envoyer des fichiers numériques.

« J’ai alors eu l’idée de tricoter des rouleaux de films, en m’inspirant du photographe Edward Muybridge», poursuit-il, ses travaux de décomposition du mouvement et son travail pionnier sur le galop du cheval. Muybridge avait développé dans la deuxième moitié du XIXème siècle le zoopraxiscope, un projecteur qui permettait la visualisation de courtes séquences animées, ancêtre du cinématographe. « Je me suis amusé à tricoter les séquences du galop de cheval de Muybridge ». Le filiforme Sam Meech réalise alors des rouleaux d’écharpe qui deviennent des films.

Animation d’un cheval au galop tricoté par Sam Meech : 

Soutenu par le centre d’art et nouveaux médias FACT à Liverpool (Foundation for Art and Creative Technology), Meech se lance alors dans un projet plus vaste, « Punchcard Economy », qui confronte la culture traditionnelle du travail ouvrier et son expérience de travailleur flexible.

« Je me suis fixé comme objectif de réaliser une tapisserie de 3m X 5m où je reproduirais le slogan “8 heures de travail, 8 heures de loisirs, 8 heures de sommeil”», explique-t-il. Ce fameux slogan, posé par Robert Owen en 1817 durant le mouvement anglais pour la journée de 8 heures, est devenu le slogan de la 1re Internationale et du mouvement ouvrier français. Owen est l’un des premiers à avoir parlé de réduction du temps de travail et militait pour la semaine de 40 heures.

« Punchcard Economy » a été présentée à Berlin dans l’exposition de la Transmediale «Time & Motion: redefining working life ».

Constatant que la journée de travail d’un travailleur freelance est beaucoup plus décomposée que la traditionnelle journée des 8 heures salariées, Meech décide de collecter les données d’un ensemble de travailleurs des industries créatives, culturelles et numériques et leur demande de cocher méticuleusement leur temps de travail sur des grilles qui seront transformées en glitch numérique à tricoter sur sa machine à cartes perforées.

Le tricotage de la pièce lui prend un temps considérable, et confronte ainsi le travail besogneux sur la machine Brother et le travail flexible du secteur créatif. Pour réaliser la pièce présentée à la Transmediale de Berlin dans le cadre de l’exposition Time & Motion: redefining working life (et précédemment au FACT de Liverpool, lire notre compte-rendu du festival par ici), 221 semaines de 116 participants furent collectées, correspondant à 5 304 heures de travail.

Making of de « Punchcard Economy », par Sam Meech :

L’introduction des machines à tricoter domestiques dans les années 1950 avait transformé le passe-temps en industrie artisanale d’une personne à domicile, comme un retour de l’économie d’atelier de l’époque proto-capitaliste des fileuses. Bien que Brother ait cessé la production de ces machines dans les années 1990, amateurs et professionnels ont gardé en vie le métier à tricoter en partageant leurs connaissances via des didacticiels vidéo et des blogs. Plus récemment, la machine à tricoter électronique est devenue populaire auprès des hackers et des makers.

Dans son désir de continuer à travailler avec les associations d’amateurs et travailleurs du textile, Sam Meech a récemment tricoté une bannière « Stick to knitting » faisant référence aux propos tenus par Brooks Newmark lors de sa nomination au poste de ministre de la Société civile du gouvernement Cameron en septembre 2014. Le conservateur sommait les associations caritatives de « s’en tenir à leur tricot » et de ne pas se préoccuper de politique… Deux semaines plus tard, la nouvelle bannière, comme la tapisserie des 8 heures, ont été intégrées à une manifestation devant la conférence annuelle du parti travailliste en Angleterre.

La bannière « Stick to knitting » de Sam Meech devant l’hôtel hébergeant le meeting du parti travailliste.

Pour en savoir plus sur Sam Meech