Makery

Chronique d’une makeuse en matériaux #2

Echantillons de teinture à la lie de vin. © Caroline Grellier

Pour Makery, Caroline Grellier, designeuse issue de l’école Boulle, tient le journal de son projet de valorisation des sous-produits du vin. Une nouvelle étape vient d’être franchie avec la double caution d’Agro Valo Méditerranée, incubateur scientifique, et d’Alter’Incub, spécialisé dans l’innovation sociale.

Janvier, son vent glacial et ses maladies hivernales… Malgré une moitié du mois sous la couette, j’ai dû me remettre au boulot, puisque je suis seule à porter le projet de la Coopérative des matières viticoles à valoriser (CMVV) et ma « to do list » s’allonge de jour en jour… plutôt bon signe.

Un co-accompagnement scientifique et stratégique

En attendant d’agrandir l’équipe, j’avance seule… mais bien accompagnée. Mon objectif pour janvier ? Valider une co-incubation d’Agro Valo Méditerranée (pour la caution scientifique de Sup’Agro, établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel sous tutelle de la direction de l’enseignement et de la recherche du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt) et d’Alter’Incub, incubateur spécialisé dans l’innovation sociale (pour un accompagnement sur le montage du projet dans sa globalité).

C’est chose faite, grâce à une audition réussie devant Alter’Incub avec des représentants des Scop, les organismes de l’innovation sociale, et des acteurs financeurs du Languedoc-Roussillon. Audition qui m’amènera donc à suivre un mini-programme de formation en journées collectives, afin de rencontrer et échanger avec d’autres entrepreneurs. Une manière de faire entrer dans mon vocabulaire des termes quasi-barbares pour moi comme « business modèle », « étude de marché », « prix de revient », bref, le jargon du parfait entrepreneur. Départ dans les starting-blocks le 10 février à Montpellier.

Design + recherche + agro-matériaux

Après des mois derrière l’ordinateur à veiller la concurrence et à présenter le projet à des dizaines de personnes de tous horizons, l’envie commence sérieusement à me titiller de pousser les portes du labo, de remettre les mains dans la lie de vin, de tripoter du marc de raisin et de décortiquer du sarment, pour enfin retrouver ces odeurs vinicoles qui ont chatouillé mes narines pendant près d’un an.

Si je souhaite concrétiser ce projet, c’est bien pour créer le job qui me convient tout en défendant ma vision du rôle que peut jouer le design dans la question de la valorisation des agro-ressources, en ayant la faculté de projeter des applications pertinentes et créatives à partir des matériaux développés. Dans ce cas précis, mon rôle de designer est donc d’être un véritable fil rouge sur le projet, un relais entre le chercheur-ingénieur qui co-conçoit le matériau et le créateur qui l’utilise. Je suis convaincue de l’intérêt d’avoir une équipe pluridisciplinaire qui réunit sur le plan technique les domaines de l’ingénierie, de la recherche, du design et de l’agriculture.

Conception d’applications produits à partir des échantillons de matériaux d’origine viticole. © Caroline Grellier

Il s’agit d’associer le design à la recherche et ce, à chaque étape de la conception de l’agro-matériau, afin d’impulser l’élan créatif bien en amont du projet, en vue de favoriser le processus d’innovation du design de produit, intrinsèque aux potentiels du matériau utilisé. C’est selon moi ce duo design-recherche appliquée qui est porteur de sens.

Si je revendique dans ma démarche de makeuse en matériaux une recherche empirique, intuitive et ouverte, réalisée en totale autonomie et sans prétention scientifique, le challenge consiste désormais à valider la viabilité technique et économique du projet et vérifier dans quelle mesure la fabrication peut changer d’échelle, en passant du garage ou du fablab à la série industrielle. Comment optimiser un procédé ? Dans quelle mesure tel matériau résiste-t-il à une forte pression ? Combien de temps va tenir la couleur inhérente aux anthocyanes (pigments naturels) ? Est-ce qu’on peut réellement envisager une production industrielle sur ce demi-produit ? Comment gérer la dégradation de la matière dans le temps ? Autant de questions en suspens, avec lesquelles je pourrai bientôt harceler gentiment mon partenaire chercheur.

Echantillons sous la loupe binoculaire. © Caroline Grellier

Où est l’innovation ?

«Notre richesse agricole pourra également permettre le développement de nouveaux matériaux.» Concours de l’Innovation 2030

La CMVV ne se résume pas au seul développement d’agro-matériaux viticoles. L‘innovation se situe certes dans la fabrication de nouveaux matériaux jusqu’alors inexistants, mais aussi et surtout dans la stratégie du modèle économique à mettre en place et dans la façon d’impliquer les acteurs de terrain au sein d’une Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Je cherche à développer un modèle à plusieurs facettes, à mi-chemin du fablab et du bureau de R&D, entre le centre de ressources et la micro-usine. Tout est une question d’équilibre, entre valeurs marchandes et non marchandes, monétaires ou non.

Cette question du modèle économique est particulièrement intéressante à étudier dans d’autres contextes: les fablabs qui émergent en Afrique de l’Ouest sont d’ailleurs pour moi des modèles émergents inspirants. Je me questionne aussi sur les limites du dépôt de brevet, ayant baigné lors de mon immersion dans les fablabs africains dans une culture du libre, chère à ces makers. C’est cette réflexion spécifique, menée en parallèle des travaux de R&D avec Sup’Agro et avec le futur soutien d’Alter’Incub, qui m’occupe au quotidien.

Au programme de février : sortir de cette solitude de porteur de projet, en participant à Agreen Startup, du 27 février au 1er mars pendant le Salon de l’Agriculture 2015. Avis à tous les makers, agriculteurs, experts en finances, informaticiens, commerciaux, dentistes, jardiniers, retraités ou étudiants, rendez-vous à « La start’up est dans le pré » pour contribuer au projet le temps du week-end ou plus encore. Tous les cerveaux sont les bienvenus !

Retrouvez la chronique d’une makeuse en matériau #1