Les labs africains sans imprimante 3D, et alors ?
Publié le 13 janvier 2015 par Ewen Chardronnet
Alors que l’Afrique bascule dans la «révolution fablab», l’impression 3D pourrait bien ne pas pénétrer les foyers africains. Question de culture et de moyens sur un continent où recyclage et récupération font partie du quotidien…
L’impression 3D comme outil pour réparer des objets cassés ? En Afrique, où la réparation et le recyclage font partie d’une culture quotidienne omniprésente, l’affaire ne va pas de soi. Il suffit d’aller faire un tour dans une décharge. C’est ce que j’ai fait en cherchant des objets à récupérer pour animer un atelier d’arts plastiques à Lomé (Togo) : j’ai eu bien du mal à en trouver, tant ce qui est jeté était vraiment usé, inutilisable ou découpé en morceaux. Avant d’atterrir à la déchetterie, un objet a d’abord été réparé, raccommodé, démonté ou bricolé plusieurs fois pour en prolonger l’usage.
Docteur plastique
Tandis que je passais une grande partie de 2014 en Afrique de l’Ouest, à Ouagadougou, ma tapette gauche (comprenez « tong ») m’a fait faux bond lorsque son cordon en plastique s’est coupé net. A peine 50 mètres plus loin, je tombais sur un « docteur plastique » près d’un garage (titre lisiblement écrit sur une petite pancarte en bois peinte) qui en à peine 4 minutes avait réparé ma chaussure gratuitement, avec un fil et une aiguille. A Lomé, quelques mois plus tard, la même tong me lâche à nouveau : deux Togolais qui passaient par là ont embarqué l’objet blessé à moto pour l’emmener se faire soigner une deuxième fois entre les mains d’un autre docteur plastique. Jamais on ne m’a suggéré d’en acheter une nouvelle paire…
Une bassine fendue, une assiette abîmée, une tasse percée… tous les objets en plastique se réparent facilement, presque gratuitement, en Afrique. Comment dès lors imaginer que l’impression 3D s’introduise massivement dans la vie quotidienne des Africains ?
L’art de la fabrication à base de récupération est présent à tous les âges. Les enfants, comme partout dans le monde, imaginent leurs propres jeux, mais les fabriquent avec ce qu’ils trouvent à la maison (des sacs plastiques pour faire une corde à sauter ou un ballon éphémère…). On n’est pas prêt de voir au marché un étalage de produits en plastique imprimés, qui coûtent d’ailleurs plus cher que dans la plupart des pays occidentaux.
Fabriquer du fil plastique ?
Un autre frein, et pas le moindre, est l’approvisionnement en matière première. Devoir importer du fil plastique sur un continent où le plastique est visible à chaque coin de rue peut paraître étrange. De plus, les commandes de fil par Internet arrivent difficilement et à des prix exorbitants. Pour tenter de trouver une solution, des makers comme les Sénégalais du fablab Defko Ak Niep avec leur broyeuse-extrudeuse ou les Burkinabés du Ouagalab montent des projets autour de la fabrication de fil à partir de plastique recyclé, ce qui n’est pas une mince affaire…
Les communautés de makers en Afrique de l’Ouest sont dynamiques et multiplient les projets. Ceux-ci se fondent cependant davantage sur la recherche de solutions accessibles à des problèmes locaux quotidiens et cruciaux, qui déploient le moins de moyens matériels possibles, à l’image de l’éolienne open-source du Ouagalab.
Le pays le plus impliqué dans l’impression 3D en Afrique de l’Ouest est le Togo, via les initiatives du Woelab à Lomé. La W-afate, imprimante 3D made in Africa conçue et fabriquée par Afate Gnikou, petit génie du bricolage, à partir de déchets informatiques comme les carcasses d’unités centrales dénichées dans les décharges, est cependant une sorte d’exception à l’échelle du continent. La W-afate se veut l’objet de la démocratisation de la haute technologie, accessible car moins coûteuse. Pourtant, peu de labs africains sont équipés en imprimantes 3D… Preuve qu’un attirail de machines de fabrication numérique pour produire des porte-clés et autres gadgets ne fait pas un fablab !
Gildas Guiella, du Ouagalab (Burkina), l’affirme : « On a démarré sans moyens, on commence tout juste à penser à se fabriquer une imprimante 3D alimentée par énergie solaire avec pour projet de fabriquer notre propre fil, mais on cherche des pistes sérieuses pour savoir quoi en faire. » Ces pistes, les Béninois du Blolab ont mis le doigt dessus, en se rapprochant du secteur médical pour prototyper des prothèses orthopédiques.
(Texte et photos Caroline Grellier)