Que nous réserve 2015 pour la fabrication numérique et les labs ? Experts, futurologues, fabmanagers et autres bricodeurs répondent à la question pour Makery (suite).
Bruce Sterling, @bruces
auteur de SF, essayiste, futurologue
« Je prévois moins de fureur et plus de consolidation. Je prévois également que quelqu’un va assembler beaucoup de ces produits dispersés de tous ces laboratoires et fabricants numériques et essayer de vivre avec dans une vraie maison. »
Gildas Guiella,
fondateur du Ouagalab (Burkina Faso)
« L’année 2015 est celle de la concrétisation, donc une année où la révolution technologique prendra le dessus sur les espaces de fab numérique. On a fait un rêve au Burkina et on a conçu une communauté qui fait effet présentement avec l’apport en solutions concrètes à faible coût, avec le partage comme moteur. »
Anna Waldman Brown, @annawab
directrice du Practical Education Network (Etats-Unis)
« 1. Évolution vers des espaces plus inclusifs et diversifiés : nombre d’études récentes montrent que la démographie des makerspaces est dominée par les hommes riches et éduqués, mais il y a une résistance croissante de la part des femmes, des minorités et des makers défavorisés.
2. Davantage de participation des entreprises et des gouvernements à travers le monde, d’où plus de financement, mais aussi le risque que le mouvement maker soit assimilé à leurs idéologies. Les grandes marques du monde entier reconnaissent que les produits faits main sont à la mode et utilisent le mouvement maker pour faire leur publicité. Comme les gouvernements veulent que leurs citoyens soient au courant des nouveaux usages de la fabrication numérique, ils font la promotion des fablabs pour l’éducation.
3. Continuation de la révolution robotique : les principaux fabricants de matériel remplacent des milliers de travailleurs en usine avec des machines de fabrication numérique, ce qui résulte en moins d’emplois pour les personnes plus formées. »
Actualité: A co-organisé la conférence Fab10 de Barcelone ; voir le site de son organisation.
Tidiane Ball,
fondateur du DoniLab (Mali)
« En Afrique, précisément où je suis, je pense qu’il y aura plus de labs, plus de monde s’intéressera au domaine. Certains pays sont plus en avance que d’autres mais le réveil se généralise un peu partout sur le continent africain. »
Jean-Louis Fréchin, @nodesign
designer, enseignant
« Mes souhaits : du Lab au Fab, du récit aux produits, de l’additif au soustractif, des possibles aux souhaitables, et beaucoup de diversités. Dernier souhait : que les FabLAbs et leur esprit puissent être le moteur de la réinvention de l’enseignement professionnel en France. »
Actualité: http://www.nodesign.net
Diarra Sylla,
co-fondatrice du Sahel FabLab (Mauritanie)
« 2015 est l’année de la révolution des fablabs en Afrique. Avec Sahel FabLab, nous en serons (on a commencé le projet Jerry, on va faire un four solaire…). »
Jean-Michel Cornu, @jmichelcornu
directeur scientifique de la Fing, expert européen de la société de l’information
« Je vois deux choses qui pourraient changer la donne en 2015 pour les labs :
– Certains makers commencent à commercialiser leurs innovations (comme la Foldarap d’Emmanuel Gilloz), avec toute la difficulté de passer de quelques pièces à une production plus régulière. Il va falloir inventer de nouveaux modèles, comme peut-être de la fabrication décentralisée dans plusieurs labs, et de nouveaux modèles économiques.
– Après la France, les fablabs explosent en Afrique francophone, une dizaine sont prévus cette année (voir le communiqué de presse de InnovAfrica).
Actualité : directeur scientifique de la Fondation pour l’Internet Nouvelle Génération (Fing) et (entre autres) co-fondateur du réseau international de correspondants sur les usages de l’internet, Correspondants.org.
Camille Bosqué, @CamilleBosque
doctorante en esthétique et design
Si l’on continue à se référer à la loi de Moore qui selon Neil Gershenfeld s’applique bien au mouvement des FabLabs dans le monde, leur nombre devrait à nouveau doubler en 2015. Cela nous mènerait dans un an à une petite moyenne de mille FabLabs « officiels » sur la planète. (…) Le projet FabLab au sens strict, en se multipliant, a bien évolué ! Derrière ce nom, on trouve maintenant des espaces de coworking, des labos d’étudiants, des cellules « alternatives » de recherche et développement au cœur de grandes entreprises… Ce sont des espaces qui n’ont pas les mêmes ambitions ni les mêmes discours. En France plus qu’ailleurs, le mot FabLab est encore trop souvent employé comme un nom commun pour désigner des ateliers collectifs de fabrication (numérique ou pas) ou de conception qui cherchent à s’organiser hors d’un cadre classique. Cette question paraît relever de la simple nomenclature, mais elle pourrait à long terme brouiller complètement le projet strict du réseau des FabLabs.
On peut tout à fait se réjouir de voir le mouvement de « Labs » ou des makers se développer largement et s’infiltrer au cœur de multiples aspects de notre société : politique territoriale, éducation et formation, gestion énergétique et environnementale, entrepreneuriat et création artistique… Dans ce mouvement, la France a encore un coup à jouer. Lors de mes différentes rencontres avec les grands gourous du réseau des FabLabs, j’ai réalisé à quel point les FabLabs français sont isolés du réseau international historique. Pour plein de raisons, notamment linguistiques ! Mais au-delà de ça, il reste encore des accords à trouver entre les valeurs de partage et d’expérimentation désintéressée qui sont les briques fondamentales du mouvement et certains objectifs de création de valeur économique et d’entrepreneuriat qui se développent de plus en plus au cœur de certains « Labs ». L’arrivée sur la scène française de lieux non plus associatifs mais privés comme WoMa et Usine.io, qui se rapprochent du modèle de TechShop, fera probablement encore bouger les lignes dans ce sens.
Ma dernière prédiction touche aux outils eux-mêmes et aux terrains de jeu du maker de demain : selon les têtes pensantes du mouvement au MIT, il n’y aura bientôt plus de différence entre un BioLab et un FabLab. L’équivalence entre les bits et les atomes ne se fera peut-être pas déjà en 2015, mais nul doute que des lieux en pleine expansion comme La Paillasse à Paris incarneront rapidement un nouveau souffle pour le DIY et la fabrication personnelle.
Actualité: vient de publier FabLabs, etc. Les nouveaux espaces de fabrication numérique aux éditions Eyrolles.