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Transformeurs : l’upcycling fait un carton à Nantes

A Nantes, les anciennes Halles Alstom accueillaient le 6ème challenge d’upcycling des Transformeurs. © Francis Mizio

Du 12 au 14 décembre s’est déroulé le 6ème challenge d’upcycling des Transformeurs à Nantes, dans les anciennes Halles Alstom. 66 créateurs ont eu 35 heures pour réaliser des œuvres ou des objets à partir de 6,5 tonnes de matériaux et meubles de récupération.

(Nantes, texte et photos de notre correspondant)

En pénétrant vendredi 12 décembre à 16h au sein du challenge d’upcycling des Transformeurs, on frémit : va-t-on assister à un déballage d’horreurs relevant du nu-kitsch – puisque issu d’une idée de recyclage décroissant, à l’inverse du kitsch né du baroque croulant sous l’abondance ? Doit-on s’attendre à un étalage hideux à la façon de ces artistes bohèmes qui écoulent leurs saletés l’été en bord de mer ? Force est de reconnaître, au terme des trois jours de ce recyclage artistique, que la réponse fut non. Les Halles Alstom ont vu naître du rebut bien des œuvres originales, insolites, drôles, et quantités d’objets futés.

L’association les Transformeurs a récupéré 6,5 tonnes de rebut.

Quoiqu’il en soit, le public a été au rendez-vous : « dans les 4500 personnes » estimait dimanche soir la vice-présidente des Transformeurs, Sandrine Richardeau. Un public curieux, épaté, et acheteur – et l’on vit partir dans une fourgonnette jusqu’à une sculpture métallo-mythologique de 2 m de haut au poids et à l’encombrement pourtant non négligeables. Le truc pas facile à placer…

Un public nombreux est venu le week-end dernier aux Halles Alstom.

6,5 tonnes de rebut

Ayant passé deux mois à collecter auprès de «partenaires récup‘» 6,5 tonnes d’objets et matériaux au rebut, ayant investi près de 100.000€ (en matériel, communication, bar, catering, transport…) pour que des artistes s’amusent et vendent, les 4 salariés et 30 bénévoles des Transformeurs forcent le respect. L’association maîtrise son sujet : elle événementise l’upcycling depuis 2003, accueille des artistes en résidence depuis de nombreuses années et intervient en ateliers avec les jeunes dans le quartier Bellevue de Nantes ou à Niort.

Le stock au début de la manifestation. Si la moitié du métal a été écoulée, il reste 4 tonnes de déchets !

Aurélia Leclercq, la directrice artistique, riait dimanche soir de sa fatigue à venir. Le challenge aura permis d’écouler plus de la moitié du métal, mais il ne leur restait plus que 5 jours pour faire place nette des 4 tonnes restantes. Les halles Alstom sont en effet actuellement en chantier, pour devenir un centre d’art contemporain au cœur du «quartier de la création» de l’Ile de Nantes.

De tout… et de tout aussi

Le Dolly-foot revisite le bon vieux baby-foot à l’aide de vieilles poupées. 
Le doudou dodo se fait siège peluche…
Et le bidon plastique trouve une nouvelle vie en lampe colorée.
Les 66 artistes présents avaient 35 heures pour créer… et vendre. 

Après une journée privatisée (une entreprise de création de start-up avait réservé la première journée pour ses clients), le challenge a débuté vendredi 12 à 16h pour se terminer dimanche 14 à 20h. Si le nombre d’équipes d’artistes a été au dernier moment plus réduit que prévu (79 étaient annoncées), les créations des 66 présents (dont 16 en résidence) ont abondé : du Dolly-foot, baby-foot un peu art forain gore fabriqué avec de vieilles poupées, aux sculptures monumentales, des lampes par foison à la collection de « drones des années 50 », des meubles inattendus (chaises peluche, chaises disques,…), des jouets retravaillés en bibelot ovniesque, des bijoux, des créatures fantastiques… Il y eut absolument de tout.

Il n’y eut certes pas toujours que de la beauté, mais l’ensemble a témoigné d’une incroyable et revigorante créativité. « Les artistes sont contents ; ils se sont amusés et ont en plus bien vendu », se réjouissait Aurélia Leclercq dimanche. Pour le coup, le spectacle et le travail fourni par les créateurs aura été ainsi rémunéré. On est loin du hackathon exploiteur…

Certains des artistes invités sont en résidence chez les Transformeurs, l’association de recyclage artistique. 

Sirotant une bière au bar sous les basses de la techno qui couvrait les coups de marteau de Ludo Looo (lire ci-dessous son portrait) ou les grésillements des chalumeaux, on se pose toutefois une question : comment recyclera-t-on un jour tout cela ? L’économie circulaire que beaucoup appellent de leurs vœux se glissera-t-elle ici aussi ? Soit, les Transformeurs reverront-ils passer au recyclage dans un an ou deux des œuvres ou objets qu’ils auront contribué à faire exister ? Si c’est le cas, c’est que leur manifestation sera encore là dans quelques années, sinon se sera développée —et c’est franchement tout ce qu’on leur souhaite.

Pour Ludo Loo, artiste forgeron en résidence pour 3 ans chez les Transformeurs, le recyclage est un « mode de vie ».  

Ludo Looo : « Les gens appellent ça recyclage, pour moi c’est simplement naturel »

Son sourire solaire éclipse presque les flammes qui jaillissent de sa forge.  Au milieu du challenge d’upcycling des Transformeurs, son look de blacksmith et son coup de marteau ne passent pas inaperçus. Et au milieu des objets qui ne sont pas ce qu’ils ont l’air d’être, cette armoire à glace qui a tabassé durant deux jours une poutrelle des Halles Alstom actuellement en déconstruction pour en faire jaillir une sculpture élégante… se révèle un doux nounours.

Scotché depuis l’âge de 15 ans à la forge « parce qu’hypnotisé par le feu, cet élément créateur », auto-formé en récupérant et travaillant du plomb, puis diplômé de ferronnerie, Ludo Looo est en résidence pour 3 ans au sein du collectif les Transformeurs. Il y bénéficie d’une forge partagée. Ici, il ne se « pose pas la question d’être artiste ou ouvrier ». « Je suis un mix, peut-être. » Il fait ses trucs, c’est tout. 

« J’avais, comme tout le monde, un grand-père qui réparait des chaises… » Ludo Looo

La notion de recyclage ne le concerne pas plus que ça : « C’est la conséquence d’un manque de budget… Et c’est devenu un mode de vie. Je ne me suis jamais posé la question de savoir si je faisais du recyclage. Je suis toujours allé chercher les matériaux là où ils se trouvent, même dans la rue. J’ai commencé tôt en récupérant le plomb dans les batteries. Les gens appellent cela du recyclage, mais pour moi c’est simplement naturel. » Il a longtemps stocké des quantités invraisemblables de matériaux de récup’, mais « j’ai décidé d’écouter ma femme qui disait que cela commençait à faire un peu trop. Maintenant cela laisse de la place pour les outils, et surtout pour les gens… Des matériaux et des outils, j’en trouverai toujours ».

Créer, partager

Car à 38 ans, ce qui l’intéresse et occupe ses journées, c’est autant « le partage avec les jeunes », à l’exemple d’une de ses influences majeures, le maître forgeron et designer tchèque Alfred Habermann – « Cet homme a créé une école. Il a fait tout ce dont j’ai toujours rêvé de faire. Il travaille sur tous les aspects du métal et de la création » – que l’expérimentation. Soit « travailler le métal dans ses atomes, ses composants, en n’évitant pas toujours le danger. » Une ambition qui l’a mené jusqu’à explorer par souci « de travailler sur toute la chaîne, expérimenter depuis le minerai » les cartes du Bureau de recherche géologique et minière et de mener ses recherches avec des comparses aussi enferrés que lui dans cette passion.

Le challenge des Transformeurs est pour le forgeron l’occasion de partager avec d’autres artistes adeptes de la récup’. 

Il ne sait pas comment sera l’avenir, n’a pas spécialement d’œuvre à créer : « Je ne me réserve pas à un moment. Je suis dans le partage. » Il montera sans doute des ateliers, poursuivra certainement une de ses obsessions consistant à « créer des nuages à partir de petits triangles de fer — car j’ai essayé avec des cercles, ce n’est pas drôle. »

Le challenge a été pour lui une fête : « On se sent moins seul à faire des choses. On remplit les batteries en famille. » Il estime avoir « bien vendu », a eu des contacts avec des particuliers et des industriels qui lui passeront commande, et a tout de même consommé avec ses trois complices de forge Hélène, Sébastien et Robin, 200 kg de ferrailles parmi celles mises à disposition. Ludo Looo n’est pas fatigué : « La forge, ce n’est absolument pas brutos. C’est très technique et pas crevant. Le lever de marteau, c’est comme travailler le tennis, voilà…» Vulcain modeste, il sourit avec chaleur, puis retourne attiser sa forge.

La page Facebook de Ludo Looo