Proflabs, bibliolabs, fablabs pédagos… Le ministère de l’Education nationale essaime ses initiatives estampillées fablabs sur tout le territoire. Avec un art consommé dans la création de nébuleuses. Ces fablabs éducatifs font-ils pour autant entrer la culture lab à l’école ?
Alors que l’éducation au numérique se résume encore trop souvent à coller, non sans risques, une tablette dans les mains des chers bambins, le ministère de l’Education nationale multiplie les campagnes «pour faire entrer l’école dans l’ère du numérique», avec le mot fablab pour sésame. Les académies ne jurent plus que par les fablabs pédagos, où l’enseignant se fait maker d’un jour. Le mot d’ordre ? Fabriquer de l’éducation en s’inspirant de l’esprit lab. Mieux, les proflabs se multiplient, à la gloire de «l’intelligence collective» de l’enseignement, car une réunion en salle des profs ne fait pas tout. Mais ces fablabs éducatifs font-ils pour autant entrer la culture lab à l’école ? Tour d’horizon des initiatives en la matière.
Le fablab pédago : nouvelle fabrique de la formation ?
Lors du dernier salon européen de l’Éducation du 27 au 30 novembre à Paris, le ministère a confié à Canopé, réseau sous tutelle chargé d’éditer des ressources pédagogiques transmédias pour la communauté éducative, le soin de mettre en place un lab éphémère pour faire découvrir aux visiteurs les joies du prototypage rapide. Le PMClab ou encore l’OpenLab, à configuration plutôt enseignement supérieur, y étaient invités à présenter des initiations à la recherche et des initiatives de hacking citoyen.
L’OpenLab au salon de l’Education, ou comment scruter des interactions machine-animaux avec des fourmis :
En réalité, le ministère mise surtout sur les initiatives concoctées dans ses propres réseaux. Déjà fort d’une trentaine d’ateliers opérationnels dans toutes les académies après son lancement en février 2014, Canopé, qui n’est ni plus ni moins que l’ancien Centre National de Documentation Pédagogique, multiplie les opérations séduction fablabs pédagos sur tout le territoire. Quitte à dériver davantage vers l’initiation aux NTIC plutôt que du côté de la fabrication numérique. L‘atelier Canopé des Deux Sèvres définit d’ailleurs le fablab pédagogique en une simple formule : «Un lieu, une date, un groupe… pour produire ensemble.»
De la méthodo, donc. Mais de la techno, beaucoup moins. Ainsi, le 1er fablab pédagogique de l’atelier Canopé de l’Essonne en octobre proposait l’animation d’une webradio scolaire, l’écriture web avec ses élèves, la création de ressources avec la réalité augmentée et des détournements pédagogiques de Minecraft (oui, le jeu de mine en briques). Il fallait attendre le dessert pour goûter à la vidéo et à l’impression 3D. Cependant, d’autres ateliers, comme celui de Beauvais, s’ancrent davantage dans le fonctionnement des fablabs pour parler Arduino, logiciel libre dans l’éducation et Internet des objets.
Autre déclinaison du fablab pédago : le proflab, constitué de modules coopératifs inspirés du logiciel libre. Lancé par deux enseignants du collège Beaumont à Redon en Bretagne, le lab se fait d’abord… en classe. Car les profs ouvrent les salles à leurs confrères avant de phosphorer en commun sur les outils éducatifs qui seront prototypés en atelier collaboratif. Pour structurer tout ça, l’association encadrant les proflabs — dont le slogan est « Pour une école de la coopération ! » – a sorti sa propre charte, dans la lignée de celle des fablabs.
Les bibliolabs à la traîne
Côté bibliothèques, les fablabs, déjà bien implantés outre-Atlantique, ont encore du mal à se frayer un chemin dans les médiathèques françaises. Ces établissements à haute valeur ajoutée éducative ne sont pas encore systématiquement retenus dans la sphère des « tiers-lieux ». Pour Gaëlle Bergougnoux, auteur d’une étude sur le sujet sur le blog des bibliothèques de Montréal, les bibliolabs pourraient être «une réponse possible à cette transformation nécessaire, ce passage de lieu de consultation à lieu de participation».
En France, Toulouse fait figure de pionnière avec ses imprimantes 3D installées à la médiathèque José-Cabanis. Il faut dire que la Cantine Toulouse et le fablab Artilect ont mis la pression. Car le lien entre fablab et bibliothèque semble loin d’être évident. En mai 2014, l’université toulousaine Paul Sabatier accueillait à ce sujet un séminaire au titre on ne peut plus clair : « Des bibliothécaires dans un fablab, un lab dans une bibliothèque : pour quoi faire ? »
Pour faire tomber les dernières réticences, les réseaux s’activent. En Provence Alpes Côte d’Azur, l’Agence régionale du livre s’est adressée à la Fabulerie (fablab, Marseille) pour piloter des Mini(Biblio)mix dans ses bibliothèques. Ces projets de réflexion collective s’inspirent de Museomix pour « imaginer, expérimenter, outiller et accompagner de nouvelles pratiques, repenser la bibliothèque pour répondre durablement à la demande des publics de ces établissements ». Tandis que le groupe Facebook Fablabbib sensibilise les bibliothécaires à l’existence des lieux de fabrication et incite la communauté des makers à voir les bibliothèques comme des lieux possibles d’implantation de futurs fablabs.
FABULIS, le fablab de « l’inclusion inversée »
Mais qu’en est-t-il de l’implantation des fablabs en milieu scolaire ? Si l’idée commence à s’installer doucement sous les préaux, sans surprise, les initiatives les plus concluantes reviennent aux établissements ou aux fablabs eux-mêmes.
Pour ses lycéens en situation de handicap de la section ULIS Pro (Unité localisée pour l’inclusion scolaire), le lycée Henri Nominé de Sarreguemines en Lorraine mise sur la carte fablab pour ses vertus DIWO (Do It With Others). Une fois n’est pas coutume, FABULIS, nouveau fablab ouvert à la rentrée 2014, sert de plateforme pédagogique basée sur « l’inclusion inversée » : ainsi, les élèves de BTS, BAC Pro, CAP et 3DP — mais aussi les enseignants, personnel administratif et technique — travaillent avec les élèves en situation de handicap de l’ULIS Pro. A eux de s’adapter pour développer en groupe des projets artistiques ou scientifiques en relation avec les nouvelles technologies, « à la confluence de l’apprentissage par projet et de l’apprentissage basé sur la conception ».
Les Fabriques du Ponant, le plus grand fablab breton, ont choisi de s’installer directement au cœur de la cité scolaire de Kérichen à Brest, dans les locaux du lycée Vauban. Elles accueillent notamment les Petits Hackers, un club d’informatique et d’électronique qui rassemble tous les samedis soixante jeunes de 8 à 18 ans pour apprendre à coder et à se débrouiller avec les outils open source.
Les Petits Hackers expliquent leur manière de travailler et présentent leurs projets (à partir de 6 mn) :
De son côté, le fablab de la Casemate, le centre de Culture scientifique technique et industriel de Grenoble, plutôt en pointe sur les questions de médiation, a lancé le 8 octobre dernier la première édition des Fablabs solidaires des collégiens, une initiative conduite avec la fondation Orange pour accueillir des jeunes âgés de 10 à 15 ans et les accompagner dans l’élaboration d’un projet social, artistique ou environnemental en utilisant les ressources et outils de prototypage mis à disposition. Pour immerger les élèves dans la culture fablab. Concrètement.