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A Nantes, en visite à la Plateforme C

(English) La pièce maîtresse du fablab Plateforme C, une CNC «augmentée», fruit d'un atelier entre l'école d'architecture et l'IUT de Nantes. © Ewen ChardronnetPlateforme C's CNC in Nantes, the fablab’s masterpiece. © Ewen Chardronnet

L’association nantaise PING fête ses dix ans ce mois-ci, ses cinq ans dans la fabrication numérique et une première année pour Plateforme C, son nouveau fablab situé sur l’Île de Nantes, paquebot des industries créatives de la ville. Visite lors d’un OpenAtelier.

(Nantes, envoyé spécial, texte et photos)

Retrouver Ping est un vrai plaisir. Et voir comment ils se sont développés ces deux dernières années témoigne de leur dynamisme renouvelé. Ping est en effet un des premiers fablabs français. Je me souviens des conversations lors du Futur en Seine 2009 à Paris où Hackitectura et le fablab naissant de l’école d’architecture de Séville présentaient la Wikiplaza avec un mobilier de plateau média réalisé à la CNC. Sans doute la première démonstration publique des possibilités des fablabs en France.

Tandis que de nombreuses associations françaises montraient leur intérêt pour ce domaine émergent (Labomedia, Nouvelle Fabrique…), Ping, qui coopérait déjà avec l’Espagne et l’Amérique Latine, démarrait alors son activité de fablab. Julien Bellanger, porteur de projet de l’association, s’en souvient : « Nous avons construit notre première imprimante 3D RepRap en mars 2010 avec l’aide d’Alexandre Korber du hackerspace tmp/lab. Par la suite, on a construit beaucoup d’imprimantes 3D. Pendant un temps, il n’y avait pas trop d’usages, plutôt beaucoup d’imprimantes commencées à terminer… Depuis 5 ans, dans le quartier du Breil, nous n’ouvrions que le jeudi, nous étions surtout dans le code, Pure Data, Processing, puis Arduino. Depuis l’ouverture de Plateforme C le 16 octobre 2013, nous sommes ouvert toute la semaine. Depuis la rentrée, la grande tendance, c’est la réparation de machines, comme par exemple en ce moment la découpe laser d’un artisan qui fait de la scénographie pour les foires-expos. »

L’entrepôt Quai des Antilles où est installée la Plateforme C, le fablab de l’association Ping.  

Un fablab au cœur de l’écosystème numérique nantais

Plateforme C est située dans un entrepôt de 290m2 complètement réaménagé Quai des Antilles. L’espace impression 3D est équipé de trois imprimantes Asimov, des imprimantes issues de la famille RepRap et conçues par les Brestois de SmoothieBoard, la carte électronique qui les pilote.

Titouan et Arthur, en terminale option Sciences de l’information et du numérique, à l’OpenAtelier du jeudi.  

Titouan et Arthur, du lycée Eugène Livet, sont là ce jeudi d’OpenAtelier pour imprimer un pistolet de l’univers du jeu Warhammer 40.000. C’est via leur terminale STI, option Sciences de l’information et du numérique, qu’ils sont arrivés à Plateforme C. « Notre idée est de réaliser un modèle réduit du pistolet comme une entrée en matière au fablab, pour voir comment cela fonctionne, mais à terme on souhaiterait réaliser un costume complet. »

Côté espace de découpe vinyle, « non open source celui-ci », Julien raconte : « Un couple est venu tous les jeudi après-midis pendant deux mois pour réaliser leurs faire-parts. Ils voulaient voir s’ils étaient vraiment amoureux l’un de l’autre ! L’espace dispose aussi de quelques machines liées à la sérigraphie, prêtées par des écoles ou données pour réparation. »

Julien Bellanger (à droite), porteur de projet de l’association Ping. 

Plateforme C est soutenue par la plateforme régionale de l’innovation design’in des Pays de Loire et travaille avec l’école de design Nantes Atlantique, l’école d’architecture, l’IUT de Nantes, le Lycée Livet. « Notre premier objectif était d’ouvrir aux citoyens toute la semaine. Les écoles viennent pour des projets pédagogiques. Pour accéder au lieu, chaque enseignant doit expliquer son projet et animer un atelier. Le comité de pilotage trimestriel pose comme condition que chaque école communique en amont sur ces ateliers pour que potentiellement, un autre étudiant d’une autre école puisse y participer. Il n’y a pas d’adhésion pour les écoles, elles contribuent en ingénierie, en aménagement du lieu, en projets documentés… »

Une CNC sur mesure, de l’électro en pagaille et même du biohacking

La pièce maîtresse du fablab, c’est la grande CNC. « C’est un projet phare puisque elle a été construite lors d’un workshop qui a fait se croiser l’école d’architecture et l’IUT. » A côté de la bête, Philippe, 57 ans, administrateur système passionné d’électronique, s’est attaqué à améliorer le système électrique, construire la sécurité électrique, les fins de course, le système d’aspiration, avec l’aide d’un autre maker, Eric. Cette saison, ils finalisent le calibrage du fraisage.

Philippe, 57 ans, administrateur système passionné d’électronique. 

« Il s’agit d’une fraiseuse sur planches de 2,50m par 1,22m, c’est-à-dire la taille standard des panneaux vendus en grands magasins. Cédric de Ping avec l’IUT et l’Ensa se sont occupés de la partie mécanique – c’est à dire le châssis et le chariot, la mise en place des moteurs. Mais il y a encore beaucoup de travail pour arriver au réglage fin », explique Philippe.

Maëlle, animatrice du fablab, en pleine découpe laser. 

Du côté de la grande découpe laser, Maëlle, nouvelle animatrice du lieu, travaille avec d’autres filles. « Laurent Berthelot, le responsable de la Plateforme C, et l’équipe ont désossé l’électronique chinoise pour intégrer la SmoothieBoard. Un adhérent a développé un plug-in Inkscape pour la piloter. » Et Julien de préciser : « Comme toutes les machines sont équipées de la même électronique open source, l’idée c’est qu’à terme, quand tu fais ton projet, tu puisses séparer telle ou telle partie, qui va aller plutôt à la découpe laser, à l’imprimante 3D, ou à la CNC, puisque toutes les machines seront en réseau, voire même l’envoyer à un autre fablab qui aurait une machine plus puissante. »

La Plateforme C compte également des espaces de stockage matériaux et projets ainsi que deux ateliers de 20m2 pour l’électronique et le bricolage classique. Et il y a même une paillasse : « On s’est dit qu’on allait faire un peu de biohacking. Notre premier atelier bio-élec avec Michka Melo, un adhérent de La Paillasse à Paris, nous a permis de réaliser des piles microbiennes. »

S’ouvrir, toujours plus

Selon l’équipe du fablab, chaque jeudi, lors des OpenAteliers, 40 à 50 personnes viennent entre 14h et 21h. Malgré le froid polaire de ce mois de décembre, il y a effectivement du monde. Dont pas mal de gens d’un certain âge. Pour Julien Bellanger, « le fablab de Ping a ouvert dans le quartier du Breil vers 2008-2009, à côté d’un club d’aéromodélisme. Comme il n’y a pas trop de clubs d’électronique à Nantes, quand on a commencé à faire de l’Arduino et de l’électronique, un public plus âgé a commencé à venir. Et le magasin ressource en électronique à Nantes, Electronique 44, nous a aussi fait beaucoup de publicité. »

Floriane s’intéresse à la démocratisation du fablab et y travaille avec un ingénieur de Telecom Bretagne.  

Floriane travaille quant à elle à la démocratisation du fablab, dans le cadre de l’ouverture d’un partenariat avec Polytech Nantes et Telecom Bretagne. Etudiante à l’École de design de Nantes, elle avait « cherché à savoir ce qu’allaient devenir nos rapports et notre affect à nos objets personnels avec l’Open Design ». Floriane travaille maintenant au fablab avec un ingénieur de Telecom Bretagne. « Les machines et les logiciels n’étant pas souvent accessibles à tout le monde, ce sur quoi on planche, c’est comment améliorer l’accessibilité et valoriser les fablabs, attirer et désinhiber les novices qui ont souvent des appréhensions par rapport au monde de la fabrication numérique. »

Ouvrir encore et plus, c’est un des enjeux du fablab nantais. Maëlle voudrait améliorer la parité chez les adhérents. « Spontanément les filles se retrouvent au logiciel et les garçons aux machines. On essaie de leur expliquer que cela n’est pas nécessairement implicite que les choses fonctionnent comme cela », dit-elle en souriant. D’ailleurs, Julien ajoute qu’à l’avenir ils souhaitent défendre une véritable démarche « communaliste ».