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Le Glass Fablab réinvente le métier de verrier d’art

L'atelier des souffleurs de verre du Cerfav. © Quentin Chevrier

Depuis mars 2013, le Centre de recherches et formation aux arts verriers dans la campagne lorraine s’est doté d’un fablab. Le savoir-faire traditionnel y est confronté à l’imprimante 3D, la découpe laser et les micro-contrôleurs. Visite.

(Vannes-le Châtel, envoyé spécial)

A sept heures et quart, il fait un froid de canard en gelée à la gare de Nancy ce 14 novembre. Philippe Garenc, co-fondateur du Glass Fablab du Centre européen de recherches et formation aux arts verriers (Cerfav), dont l’accent du Sud tranche dans l’épais brouillard gris lorrain, profite des 40 minutes de route jusqu’à Vannes-le-Châtel pour retracer la jeune histoire du Glass Fablab.

« Il y a quelques années, près de 700 personnes travaillaient le verre dans la région, notamment à la manufacture Daum. » La concurrence internationale et la perte d’intérêt du grand public pour ce type d’artisanat fait petit à petit disparaître les emplois, et autant d’emplois induits. « Mais le savoir-faire était toujours là. Michel Dinet (ancien maire du village) décide de soutenir ces compétences locales. Il crée des fêtes de village dédiées à la verrerie, puis un four communautaire, organise des démonstrations de souffleurs, et enfin crée le Cerfav en 1991. Dominique Jamis, le chef d’atelier soufflerie, est d’ailleurs un ancien de Daum. Et de temps à autre, un octogénaire ancien de la manufacture Daum vient distiller quelques conseils aux jeunes apprentis.

Le Cerfav, au calme dans la campagne lorraine.

La voiture garée entre un champ où broutent quelques chèvres et le long bâtiment du Cerfav, le hall d’entrée plante le décor, et affirme l’intégration de la fabrication numérique dans le lieu : une affiche de la Maker Faire accrochée contre les vitrines où se côtoient du verre soufflé, des formes 3D en couches de carton découpées au laser, des impressions 3D…

La vue depuis la baie vitrée du fablab.

4 centimètres cube de verre pour un fablab

Bienvenue (dans le hall d’entrée) au Cerfav.

Une minuscule maison est exposée dans cette vitrine. Dans cette maison une table, sur cette table, un vase de quelques millimètres de haut. De la maison au vase, tout est en verre. La précision technique de cette création de Philippe Garenc en 2008 a laissé sans voix les souffleurs professionnels et le directeur du Cerfav Denis Garcia. C’est l’impression 3D en cire qui a permis de réaliser cette pièce. Et c’est cette pièce qui a rendu possible le Glass Fablab en convainquant la direction de l’école de l’intérêt du projet.

La minuscule maison de verre de Philippe Garenc, réalisée grâce à l’impression 3D. © DR

Au début seulement équipé d’une CNC et de beaucoup d’envie, le Glass Fablab est depuis un an et demi une réalité dans l’école. Philippe Garenc, plasticien du verre, s’est associé à un autre ancien de l’école David Arnaud, souffleur de formation. Tous les deux équipent le lab, se forment à l’utilisation des machines, et entreprennent d’inclure le lab dans les programmes de l’école, avec comme ambition de questionner les méthodes traditionnelles des verriers d’art, et les optimiser.

Le matériel du Glass Fablab.
A droite, Philippe Garenc, co-fondateur du Glass Fablab.

Quand la fabrication numérique fait avancer l’art verrier

Au Cerfav, le fablab n’est pas là pour inciter ses membres à faire par eux-mêmes… Ce sont des artisans, cette partie est gagnée d’avance. L’enjeu est d’explorer. Par exemple, Aurélie Adam s’est aventurée dans la reproduction en verre d’un jouet à l’effigie d’un petit cheval. Scanné, modélisé, puis imprimé en 3D, le cheval en couches de plastique fondu ainsi obtenu a servi de base pour le moulage (voir la vidéo du projet).

Le cheval réalisé à partir d’un jouet reproduit en 3D au fablab.

David Arnaud, avec l’aide de Richard Timsit (un passionné du fablab de Neuchâtel) planche actuellement sur un four connecté. « Les souffleurs utilisent des fours à matière à 1220°C, des fours de réchauffe à 1120°C, et des fours de refroidissement lent, pour lequel la maîtrise des variations de température est indispensable » explique David. L’équipe est en bonne voie pour récupérer la donnée du thermostat du four (« on ne peut pas mettre un thermomètre pour Arduino là-dedans ! ») et la diffuser en ligne, pour pouvoir contrôler le four à distance. Avantage non négligeable quand on sait que le refroidissement peut prendre 24 heures pour certaines pièces. A terme, l’intérêt serait de constituer un système actif, permettant d’influer à distance sur la température, et ainsi de se dégager du temps tout en limitant les risques d’erreurs. Le projet a vocation à être publié en open source.

Un montage pour le four connecté avec un Arduino couplé à un Raspberry Pi (muni d’une clef wifi), et un autre essai sur un Beaglebone Black, lui aussi muni d’une clef wifi.

Dans une petite pièce au calme, Antoine colle des motifs en vinyle sur un imposant crâne d’oiseau en verre. Après avoir scanné et modélisé en 3D un crâne d’oiseau, il crée un moule grâce à la fraiseuse numérique du fablab et reproduit le crâne agrandi. Le verrier découpe ensuite avec le laser du fablab des motifs dans du vinyle autocollant. Le vinyle servira de masque durant le sablage de la pièce, et aidera le verrier à ajourer son crâne avec précision (résultat quasi-final dans le portfolio en fin d’article).


David Arnaud et Nicolas Hautbois (apprenti au Cerfav) ont créé un prototype de circuit électronique sur verre. En partant du constat que l’or (utilisé depuis longtemps comme motif de décoration sur le verre) est conducteur, ils ont eu l’idée d’ajouter des composants électriques (LED, résistance, timer d’horloger…) pour créer un verre sur lequel une LED s’allume lorsqu’il est saisi. Le tutoriel est en ligne.

Lorsqu’une main attrape le verre et touche les deux demi-cercles à gauche, la LED s’allume.

Un fablab doit être ouvert et explorer

Après un an et demi d’existence, le fablab est intégré dans l’école. Un étudiant précise que « le lab est ouvert tous les jours jusqu’à 18h et on finit les cours à 16h. On vient aussi sur nos pauses. C’est un peu notre foyer. Le programme était déjà lourd, le fablab est clairement pertinent mais n’allège pas vraiment l’emploi du temps. »

Bien que dédié, le lab s’ouvre aussi à l’extérieur. Les formations aux logiciels libres, de modélisation 3D par exemple, sont ouvertes à tous. Mais si quelques dizaines d’élèves passent dans le fablab cette année (sur une promo de 100), les visiteurs externes sont plus rares. Il faut dire que le village de Vannes-le-Châtel compte 600 habitants.

A l’avenir, outre son exploration des techniques de travail du verre, le fablab a quelques idées en tête : « Depuis la fenêtre du lab, on voit l’air constamment troublé au-dessus des ateliers de soufflerie. On perd beaucoup d’énergie, et on dépense déjà près de 2000 euros par mois en gaz pour les fours. On se demande si on ne peut pas bricoler quelque chose pour améliorer ça. »

Portfolio

Le fablab est derrière la baie vitrée à droite, le point rougeoyant à gauche est un four de réchauffe de souffleur.
La salle pour le sablage de grande pièce.
Antoine avoue qu’il en a encore pour un bon moment à coller tout le vinyle.
Ali Deli, responsable de l’atelier parachèvement, ou « atelier à froid » ou « les tourets ». La découpe laser est utilisée dans cet atelier pour tracer des repères sur le verre avant son taillage. Comme des pointillés dans un découpage.
La découpe laser du fablab sert à créer des masques, des motifs irréalisable à la main (comme un quadrillage parfait) sur ou entre les plaques de verre. 
A droite, le réglage du four à verre, à gauche, celui de la découpe laser. 
Les ateliers, avec Aurélie Adam (créatrice du petit cheval en verre).

Plus d’images du Glass Fablab sur le Flickr de Makery

Le workshop du designer François Brument sur interactivité, verre et lumière, en images 

Le site web du Cerfav et celui du Glass Fablab

La page Facebook et le compte Twitter du Glass Fablab

Texte et images Quentin Chevrier