Artistes, activistes et théoriciens réunis au festival Accè)s( ont contribué à l’e-book «Artisans numériques», qui vient d’être mis en ligne. Makery vous en propose un extrait. Johan Söderberg, chercheur en technologies de l’information, y questionne la propriété intellectuelle à l’heure des fablabs.
Il était fini depuis des mois mais n’était toujours pas disponible en ligne: Artisans numériques, l’e-book qui accompagnait l’édition 2012 du festival Accè(s) à Pau, sous la direction d’Ewen Chardronnet (par ailleurs contributeur de Makery) est à télécharger fissa sur le site des éditions HYX ! Le 18 octobre 2012, Accè(s) avait convié un tas de beau monde pour une journée autour des « enjeux technologiques, artistiques et sociétaux des fablabs ». Ce livre à la fois érudit et grand public réussit à constituer un excellent point d’entrée dans l’univers des labs et un parfait précis sur une culture DiY qui rebat les cartes de l’économie (et pas que virtuellement).
Côté vulgarisation, le texte de Camille Bosqué (elle aussi contributrice pour Makery !), «We Owe it all to the Hippies», conte la « brève histoire de la contre-culture américaine, des premières communautés virtuelles, des hackers, des fablabs et des makers », en repassant par le Whole Earth Catalogue, cet ancêtre des Thingiverse et autres Instructables, qui, en papier et malgré une parution aléatoire, se vendait à des centaines de milliers d’exemplaires à la fin des années soixante-dix. Artisans numériques débroussaille, expose et cherche également du côté de la théorie politique et économique les fondations du mouvement maker. Artistes, théoriciens, activistes déplient un sommaire éclectique, avec des contributions de Cécile Babiole, Ryoichi Kurokawa, Diego Movilla, Jose Perez de Lama, Johan Söderberg, Géraud Soulhiol, Usinette et MacKenzie Wark.
Artisans numériques n’hésite pas à égratigner l’idéologie parfois accolée à l’esprit lab, cette « fablab fashion » du moment. Cécile Babiole y évoque (en vis-à-vis d’images de sa pièce Copies non conformes) ses idées sur les « fantasmes et contradictions autour de la fabrication numérique », l’installation Broken réalisée pour cette édition Accè(s) 2012 de Diego Movilla est décortiquée… McKenzie Wark, l’auteur du Manifeste hacker, y parle des relations entre culture hacker et fabrication numérique.
Pour vous inciter à télécharger et lire ces quelque 186 pages, Makery a choisi pour vous un extrait d’un texte dense et théorique sur la propriété intellectuelle, déjà malmenée par la reproduction digitale et aujourd’hui confrontée à la fin de l’objet manufacturé. Ce texte signé Johan Söderberg, chercheur suédois en sciences et technologies de l’information, revient sur les critiques de la propriété intellectuelle apportées par le numérique pour évoquer l’idée d’une « propriété augmentée » dans le cadre du fablab.
Artisans numériques, sous la direction éditoriale d’Ewen Chardronnet, éditions Hyx en libre téléchargement à cette adresse.
PROPRIÉTÉ AUGMENTÉE OU ATOMES LIBRES ?
Un texte de Johan Söderberg
À lire en guettant un avenir de piratage généralisé
À partir du moment où les imprimantes 3D sont devenues largement accessibles aux consommateurs, le premier conflit en propriété intellectuelle sur la question des objets imprimables en trois dimensions a émergé. En février 2011, la première ordonnance de cessation et d’abstention (Cease and desist order) était envoyée à Thingiverse, un référentiel de fichiers de tels objets. Le designer à l’origine de l’ordonnance, Ulrich Schwanitz, réclamait la propriété d’un objet qui avait été mis en ligne sur Thingiverse. L’objet en question était le modèle d’un « triangle de Penrose ». Il s’agit d’une illusion d’optique bien connue où les faces du triangle se rejoignent aux mauvais endroits. L’objet ne peut pas exister, excepté comme représentation en deux dimensions sur une feuille de papier. Schwanitz avait conçu un objet en trois dimensions qui, regardé sous le bon angle, s’avérait un triangle de Penrose. Un utilisateur de Thingiverse reconstitua l’objet à partir d’une photo. Craignant une responsabilité secondaire sous le coup du Digital Millenium Copyright Act, l’entreprise derrière Thingiverse retira le fichier, bien que la situation légale fut incertaine. L’original, la représentation en deux dimensions du triangle de Penrose, est dans le domaine public et il demeure peu clair de savoir si Schwanitz a fait valoir ses droits d’auteur sur le fichier, c’est-à-dire, sur le code logiciel, ou sur le plan de la structure de l’objet, ou sur la photo avec l’image du triangle de Penrose. Après un tollé public, Schwanitz retira ses charges et publia le design en libre et gratuit (Rideout, 2012). Cependant, cette première rencontre fut suivie par des requêtes de plaignants industriels plus bruyants. Cette histoire nous montre que la première plainte en copyright sur des objets imprimables en trois dimensions concernait une forme qui ne pouvait pas exister sur des bases logiques dans le monde physique, excepté comme illusion d’optique jouant avec nos yeux.
Déjà un an avant la débâcle de Penrose, beaucoup d’amateurs de développement communautaire d’imprimantes 3D open source montraient des doutes sur le rôle de Thingiverse. En réponse à ces doutes, l’un des fondateurs du service de partage de fichiers suédois The Pirate Bay lança un nouveau site Web appelé « The Product Bay ». Il fut annoncé que le dépôt serait entièrement dédié à la liberté de l’information. Dans le cadre de cette initiative, les jeunes adhérents du Parti Pirate Suédois visitèrent des foires de mobilier et de design afin de passer le message aux vendeurs et concepteurs professionnels d’Ikea. Leurs jours étaient comptés, tout comme les jours des intermédiaires dans la musique et l’industrie cinématographique. Cette menace ou promesse nous mène au cœur de la raison d’être du développement de l’imprimante 3D open source. La technologie a été développée par un groupe d’amateurs et de hackers dans le but explicite d’élargir le conflit de la propriété intellectuelle aux biens tangibles et physiques (Bowyer, 2004). Un pointer est un projet auxiliaire à l’imprimante 3D, le développement d’un scanner 3D facile à utiliser. Il offre la promesse de contourner dans l’espace physique tout contrôle que les autorités juridiques pourraient tenter d’exercer sur les dépôts et les réseaux informatiques. Avec un scanner 3D à côté de l’imprimante 3D, les fichiers de conception peuvent être générés (c’est-à-dire numérisés) directement à partir d’objets physiques existants.
La proposition selon laquelle l’imprimante/scanner 3D pourra fabriquer des biens physiques tout aussi copiables que les logiciels frôle l’hyperbole. L’affirmation n’est qu’une spéculation sur ce que la machine existante peut réellement faire. Je vais laisser de côté ici les objections techniques que l’on peut vouloir soulever contre cette idée. Ce qui me préoccupe dans le présent texte est l’imaginaire qui propulse le développement de la technologie maison construite dans l’une ou l’autre direction. Le principal mérite de l’imprimante 3D open source est qu’elle introduit un récit où les « bits » et les « atomes » convergent, et, ce faisant, brise certains tropes pris pour acquis sur la propriété intellectuelle. La convergence entre les deux invite une autre convergence, celle des frontières disciplinaires du monde académique et des approches théoriques correspondantes. L’étude des technologies des nouveaux médias et de la communication est tirée vers le plus grand circuit de la production, de la marchandisation et des relations de travail. Autrement dit, la vieille critique de l’économie politique se voit ici réaffirmée par un champ d’études qui n’est en réalité pas si nouveau. Et je mobilise ici l’analyse de l’économie politique contre la critique prépondérante de la propriété intellectuelle. L’exceptionnalisme vis-à-vis des biens matériels qu’ont réclamé pour l’information les praticiens aussi bien que les universitaires, est le terrain glissant sur lequel les fondations de la critique de la propriété intellectuelle ont été construites. Dans ce qui suit, je suggère que cet argument repose sur l’auto-compréhension limitée des défenseurs du logiciel libre/open source, combinée avec les présomptions théoriques limitées du modèle économique classique et néo-classique.
À partir du moment où les hackers et les amateurs déplacent leur attention du logiciel (propriétaire) vers le hardware (fermé), l’économie industrielle dans son ensemble se retrouve impliquée dans leur critique de la propriété intellectuelle. La propriété intellectuelle est mise sur un pied d’égalité avec la propriété privée. Les adeptes de l’imprimante 3D open source perçoivent cela comme un contre-coup contre les intérêts acquis et les défenseurs de la propriété intellectuelle. La décision des hackers et des amateurs d’ouvrir un nouveau front dans la lutte contre la propriété intellectuelle pourrait aussi être interprétée comme un reflet de l’évolution du régime de la propriété dans son ensemble. Selon une telle interprétation, la propriété intellectuelle, loin d’être rendue obsolète par les récents progrès technologiques, tend à devenir la forme dominante de la propriété. Tangibles, les biens physiques ne seront pas épargnés. S’ajoutant aux imprimantes 3D et aux autres outils de fabrication numérique, la montée du soi-disant « Internet des objets » et de la « réalité augmentée » pointe dans la même direction : le déferlement du monde virtuel et informationnel dans celui de l’intégrité physique et de l’existence incarnée. Correspondant à ce mouvement, on peut prévoir un avenir où la propriété, les échanges sur le marché, l’extraction de la rente et les relations de travail seront régies par ce que je choisis d’appeler la « propriété augmentée ».
(…) Le point crucial est la notion de rareté, l’alpha et l’oméga de la discipline économique qui donne naissance à son Autre radical : l’abondance inépuisable des ressources informationnelles.
Le point de départ qu’est l’hypothèse de l’exceptionnalisme de l’information est une affirmation de bon sens prosaïque à propos de l’existence positive de la rareté dans le monde physique, empruntée à la discipline économique. L’alternative est une approche historique et sociologique informée, selon laquelle la rareté (à la fois des biens incorporels et corporels) est toujours (déjà) inscrite dans les relations sociales en vigueur. C’est ici qu’une analyse solide de la propriété intellectuelle doit commencer. La rareté dans le monde physique est une condition de la vie moderne, l’expérience générale de la pénurie et des désirs inassouvis. La certitude d’avoir tous vécu de telles expériences me fait dire qu’il faut suspendre l’argumentaire au profit d’un point de vue qui relie la rareté au tout social du marché industriel. L’anthropologue Marshall Sahlins, en s’appuyant sur ses études des sociétés archaïques, parlait d’un point de vue tellement élevé quand il a fait les remarques suivantes :
« Le marché industriel institue la rareté d’une manière totalement incomparable et à un degré nulle part ailleurs approché. Lorsque la production et la distribution sont organisées par le comportement des prix, et que tous les moyens de subsistance dépendent du gain et de la dépense, l’insuffisance des moyens matériels devient l’explicite et calculable point de départ de l’activité économique. » Marshall David Sahlins, «Stone Age Economics», 1972
De nombreux historiens ont montré comment cet état des choses est apparu, à commencer par le mouvement des enclosures dans l’Angleterre des quinzième et seizième siècles (Perelman, 2000). Les terres qui auparavant étaient entretenues en commun furent clôturées et attribuées aux détenteurs de propriété individuels. La terre fut transformée en une ressource rare, tout comme l’information a été conçue à un moment pour être une entité abstraite et décontextualisée. L’expansion actuelle de la propriété intellectuelle, selon les mots mémorables de James Boyle, s’élève au niveau d’un « second mouvement d’enclosures » (Boyle, 2003). Il exemplifie une analyse qui démarre par une critique plus large de la propriété privée et de la marchandisation comme moments dans le déploiement historique d’un tout social. La perspective historique sur la rareté met l’accent sur la continuité plutôt que sur la discontinuité, et montre que l’économie politique de l’information n’est pas si exceptionnelle, après tout. Rien jusqu’ici ne dit qu’il faut refuser la notion de bon sens qu’il existe une différence qualitative entre les produits d’information et les biens tangibles. Et je ne nie pas qu’il peut être utile de réfléchir sur cette différence. Ce qui est en jeu est de connaître la meilleure manière d’encadrer une telle enquête. Le point a été développé avec force par Dan Schiller dans sa critique de l’hypothèse de l’exceptionnalisme informationnel :
«Pour contrer l’affirmation des postindustrialistes qui déclarent que la valeur de l’information provient de ses attributs intrinsèques en tant que ressource, nous rétorquons que sa valeur provient uniquement de sa transformation en marchandise – une ressource socialement réévaluée et affinée grâce à l’application historique et progressive des règles du salariat et du marché à sa production et son échange.» Dan Schiller «How to Think About Information, In The Political Economy of Information», 1988
Une des caractéristiques intrinsèques de l’information se révèle un moment déterminé dans un processus historique plus large. Plus haut dans le texte j’ai mentionné que l’information a été définie dans le milieu du XXe siècle comme une entité abstraite et décontextualisée. Des définitions concurrentes de l’information existaient à l’époque, mais celle-là fut la plus appropriée aux besoins d’un complexe scientifico-industriel en plein développement. Cinquante ans plus tard, la définition de l’information de Claude Shannon s’est noyée dans les infrastructures, les pratiques et les représentations de notre société. Dire que sa définition de l’information est une innovation culturelle et une construction n’implique pas que nous pourrions nous en débarrasser à l’avenir en en faisant simplement une critique. L’information comprise en ce sens est suffisamment réelle et a contribué à une rupture dans la fabrication de la société, ce qui correspond à peu près au temps de la diffusion des technologies de l’information. Mon seul argument est que cette rupture doit être replacée dans le processus du travail, et non dans certaines caractéristiques inhérentes attribuées à l’information en tant que telle. Au lieu de parler de « l’information reproductible à l’infini traitée comme une ressource rare », il serait plus approprié de parler « d’un processus de travail socialisé conditionné par le carcan des réclamations en droits de la propriété privée ». Le principal avantage de cette dernière description est qu’il permet un style plus dynamique de raisonnement. Une réalité empirique donnée peut être étudiée comme transitoire dans son devenir.
Les avantages de cette dernière approche sont faciles à voir quand l’objet de l’étude est le changement technologique et la destruction créatrice. La convergence des matériels et logiciels (hardware et software) est un bon exemple. Cette tendance a fait son chemin bien avant que la vague des imprimantes 3D open source maison en ait forcé la question. On peut citer en exemple les circuits logiques programmables qui sont largement utilisés dans l’industrie informatique depuis plus d’une décennie. Les circuits sont fabriqués de telle sorte que la conception finale peut être reprogrammée à une date ultérieure, comme s’il s’agissait d’un code de logiciel. Inutile de dire que nous devons l’existence des circuits logiques programmables à quelque chose de plus que la trajectoire innée du progrès scientifique et technologique. Un témoignage d’un leader de l’industrie dans les années 1990, anticipant l’utilisation accrue des circuits logiques programmables, fait cette remarque succincte :
«L’avantage, c’est que nous pouvons utiliser des compétences de programmation facilement disponibles pour faire ce qui nécessitait auparavant de faire appel à des designers de puces coûteux et difficiles à recruter.» William Gibson, «Can Software Replace Hardware», 1999
La célèbre définition mathématique abstraite de l’information de Claude Shannon, qui, plus tard, a soutenu les nombreuses allégations concernant le cyberespace comme un domaine détaché de l’existence physique, incarnée, comme le dernier récit où les deux royaumes convergent à nouveau, devraient être située dans un circuit plus large de la production, de la marchandisation et des relations de travail. C’est-à-dire : la propriété intellectuelle doit être analysée de la position plus englobante de la critique de l’économie politique.
Dans ce texte, j’ai interrogé l’hypothèse de l’exceptionnalisme de l’information sur laquelle la critique prédominante de la propriété intellectuelle repose. Cette critique a été taillée dans le même tissu que la discipline économique. La théorie économique néo-classique, dominante au sein de l’économie, n’est pas un exercice académique comme les autres. Il s’agit d’une matière première de la pensée hégémonique et par conséquent une force matérielle réécrivant le monde selon ses propres abstractions. Pour pouvoir faire n’importe quelle prédiction sur l’économie, la théorie néo-classique doit d’abord postuler l’omniprésence de la rareté. La rareté est une condition pour voir, et, par la même, l’angle mort constitutif de ce « paradigme scientifique ». C’est cette anomalie que les critiques de la propriété intellectuelle exploitent quand ils parlent de l’exceptionnalité des biens informationnels non rivaux. L’ironie de l’inversion est assez facile à apprécier. La raison d’être de la propriété intellectuelle est renversée de l’intérieur même de la citadelle de la propriété. La liturgie des marchés libres est chantée dans les louanges des biens communs informationnels. Le prix à payer, cependant, est que l’angle mort de la discipline économique est dûment reproduit dans la critique de la propriété intellectuelle. C’est ce qui ressort des travaux de Lawrence Lessig et Yochai Benkler, ainsi que dans la pensée de nombreux hackers et amateurs. Il ne suffit pas de critiquer les défauts intellectuels de ce récit sans reconnaître également la façon dont les praticiens le mettent en pratique quand ils s’engagent dans le « travail de frontière » (boundary work). Un exemple en est la distinction entre « free speech » et « free beer ». Quand les défenseurs du logiciel libre insistent sur cette frontière, ils se présentent comme défendant strictement les questions de droits civils, tout en exemptant leur opposition déclarée aux droits de propriété intellectuelle d’une critique de la propriété, des marchés et de la répartition des richesses.
Le travail de frontière que les hackers, les militants et les universitaires ont engagé depuis 1980 est désormais déstabilisé en raison de l’introduction d’un nouvel élément narratif. À savoir, l’exclamation qui, pour le dire dans le jargon de l’idéologie californienne, déclare : « Les atomes sont les nouveaux bits. » Au cœur de l’articulation de ce nouvel imaginaire se trouvent les amateurs qui construisent des imprimantes 3D open source. La machine a été conçue avec l’objectif déclaré de faire tomber le garde-fou entre l’information et les biens physiques. Une des espérances de l’amateur, parmi tant d’autres, est que les mêmes forces perturbatrices seront lâchées sur les fabricants industriels comme elles ont pu déjà le faire dans l’industrie de la musique et du cinéma. Le partage de fichiers sera généralisé à l’ensemble de l’économie. Exprimé en termes plus abstraits, les amateurs adulent l’idée que la ligne entre les biens communs informationnels et les marchés de la propriété n’est pas fixée une fois pour toutes et inscrite dans la nature des ressources. Au contraire, parce que la ligne est une construction, elle est susceptible d’être reconstruite et renégociée à travers leurs pratiques inventives. Du point de vue privilégié des amateurs, on considère cela comme un mouvement d’attaque, l’ouverture d’un nouveau front dans la lutte contre la propriété intellectuelle.
Malheureusement, la même vision se reflète du côté « opposé », où l’on renonce aux illusions naturalistes sur la propriété avec une égale vigueur. Dans les discussions sur la relation entre la propriété, les marchés et les technologies, les think tanks néoconservateurs ont pris leur leçon constructiviste à cœur. Par exemple, dans un réexamen du vieux débat sur les phares et les biens publics, un économiste a observé que la lumière est maintenant remplacée par des signaux radio comme moyen d’aide à la navigation. Cette dernière technologie est conçue de telle manière qu’un revenu peut facilement être retiré du service. L’écrivain se réjouit : en raison de l’évolution technologique, il n’existe pas de telles choses que les biens publics naturels. C’est l’inertie institutionnelle qui freine l’expansion incessante et l’intensification des marchés (Foldvary, 2003). Ce que pointe ce raisonnement est un avenir où les aspects les plus controversés de la propriété intellectuelle, à savoir les systèmes de gestion des droits numériques, la surveillance de la clientèle en temps réel, et la fixation complexe des prix, vont déborder sur l’ancienne frontière entre le virtuel et physique, et redéfinir la propriété privée telle que nous la connaissions. Les deux types de propriété convergent vers ce que j’appelle la « propriété augmentée ». Grâce à l’extension de la propriété, la granularité des marchandises peut être rendue à l’infiniment petit. Infinis sont les moyens d’analyser les informations et de les fournir sur une base pay-per (payer pour l’accès). La façon grossière dont les biens et services ont été facturés jusqu’à aujourd’hui, et cela avec le regard que nous pourrions porter avec quelques années de recul, ressemble à une série interminable de défaillances du marché. La technologie prétend encore et encore pallier les défaillances du marché. Au fur et à mesure que le conflit sur la propriété augmentée se dévoilera, le piratage se généralisera à tous les coins de la société. Et partout nous entendrons le cri de guerre : les atomes veulent être libres aussi!