Les drones, révolution en vol ou paranoïa en marche ?
Publié le 12 novembre 2014 par Ewen Chardronnet
«Mystérieux», «dangereux», «menaçants». Avec la multiplication des survols de centrales nucléaires, les drones sont propulsés en Une à grands coups de qualificatifs anxiogènes. Faut-il avoir peur des drones ?
Quels sont les risques ?
« Les drones sont des armes à double tranchant », explique Pablo Sotes, forgeur numérique. En charge des drones au fablab Lorem à Paris, il s’étonne du faible nombre d’incidents. Pour Hakim Amrani Montanelli, fondateur du Flylab, fablab spécialisé dans les drones qui ouvre en décembre à Paris, « un drone, c’est juste un robot volant ». Alors qu’EDF vient de déposer une nouvelle plainte pour survol de drone sur la centrale de Cattenom, en Moselle, au début de la semaine, faut-il en avoir peur ? Avec l’engouement pour ces petits aéronefs, il n’est pas toujours aisé de distinguer pratiques inoffensives et visées malveillantes. « Ce n’est pas souhaitable, mais on peut de très bien fixer une charge explosive ou chimique de 400g sur une machine du commerce à moins de 1000 euros », dit Pablo Sotes.
Le risque est aussi ailleurs : « Actuellement, les freins majeurs à l’utilisation des drones sont l’atteinte à la vie privée et le recueil d’informations. C’est pour ça qu’aux États-Unis, ils sont interdits de commercialisation et ils ne sont autorisés que pour les administrations et les centres de recherche », explique Rodolphe Jobard, ex-monsieur Drones du plus grand fournisseur d’électricité français qui vient de sortir un guide pratique consacré aux drones civils.
EDF assure que ces survols sont « sans conséquence sur la sûreté et le fonctionnement des installations », position soutenue par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, pour qui « les centres de production d’électricité nucléaire (sont) conçus pour résister à toute menace embarquée sur ce type d’appareil ». Ce qui n’empêche pas leurs intrusions à répétition dans les espaces aériens des installations nucléaires électriques françaises — 20 depuis début octobre —, sans que les auteurs soient clairement identifiés. « Avec cette actualité brûlante, la communauté des dronistes et la Fédération professionnelle des drones civils se sont retrouvées sous le choc », dit Rodolphe Jobard, pionnier français du suivi photogrammétrique et de l’inspection d’ouvrages par drone. « Il semblerait que ce soient des petites machines et que les survols se fassent, a priori, sans intention trop belliqueuse. Mais il y a quand même un risque que ce type d’engin soit utilisé par des gens beaucoup plus malveillants. »
Y a-t-il un pilote ?
D’après Pablo Sotes, il faut néanmoins être un pilote expérimenté pour les faire naviguer dans ces conditions. « Seul un petit nombre de pilotes sont capables de vol manuel en immersion depuis un départ à plus de 3 ou 4 km si les vols de central sont faits en manuel. Mais depuis un départ proche des centrales à moins de 500 m, alors il y beaucoup plus de prétendants. » Greenpeace, opérateur d’une action commando filmée par un drone sur le site de la centrale du Bugey en mai 2012, nie toute implication dans le survol récent des sites nucléaires français. « De mon point de vue, il s’agit plutôt de vols automatisés qui partent de loin. Peut-être juste pour lancer un défi en disant « Je l’ai fait » », avance Pablo Sotes.
Muni d’un drone acheté dans le commerce et d’un module pour smartphone, on entre une mission sur GoogleMap puis on affine la trajectoire, l’altitude ou encore le point d’arrivée, sans avoir besoin de liaison radio. Ni même d’être sur place. « Le record de pilotage en wifi est de 900 mètres, alors qu’en radio, on atteint les 5km, poursuit Pablo Sotes. Pour obtenir des résultats précis, il faut passer beaucoup de temps sur les forums. Les pilotes sont de véritables bêta testeurs. Ce qui implique que ce ne sont pas des personnes qui achètent simplement une machine toute faite dans le commerce avec un logiciel de programmation. » Difficile de pister les pilotes… s’ils ne sont pas là !
Comment les détecter ?
Car la question n’est pas tant celle de la neutralisation des drones que celle de leur détection. « Oui, il y a un risque, car ce n’est pas évident de détecter un drone », explique Rodolphe Jobard. Selon lui, seul le mélange de réponses techniques et organisationnelles permettra aux sites sensibles de se protéger: « Les recherches en cours progressent vite et s’orientent vers des combinaisons de capteurs acoustiques, visuels, laser, radar ou infrarouge. » Pourtant, l’espace aérien des centrales est ultra surveillé par l’armée de l’air qui en interdit l’accès sur 5 kilomètres et 1 000 mètres d’altitude. Chaque centrale est par ailleurs sécurisée par un peloton spécialisé de protection de la gendarmerie. Au total, ce sont 900 gendarmes spécialement instruits, équipés, entraînés, qui assurent cette sécurité.
« Il y a un écart technologique important entre les pouvoirs publics et les techniciens qui travaillent sur les drones, constate Hakim Amrani Montanelli. Les réponses ne sont pas adaptées au danger que les drones peuvent représenter. » Pablo Sotes enfonce le clou : « Même les drones de repérage militaires sont moins efficaces que les nôtres [civils] pour la vitesse et l’agilité sur le terrain. La seule limite des multi-rotors DiY est la batterie, mais il est clair que les constructeurs auront toujours 3-4 mois de retard technologique sur tous ceux qui bricolent leurs appareils dans leur garage. »
Comment les dégommer ?
La France, très bien placée au niveau mondial en ce qui concerne le pilotage en immersion, n’est pas la seule à s’inquiéter de la multiplication des survols non autorisés. La Chine a annoncé qu’elle avait développé une technologie laser anti-drones permettant de les abattre dans un rayon de deux kilomètres. « Pourquoi pas utiliser des lasers pour des drones automatisés aux trajectoires lisses. Mais si quelqu’un pilote ces drones à distance, à 80 km/h, ils deviennent impossibles à intercepter », commente Pablo Sotes. Il explique qu’un simple moteur de type micro-ondes pourrait « éblouir » le drone qui ne recevrait plus les données du pilote et retournerait ainsi à son point de départ par défaut. La technique ne convainc pas davantage Rodolphe Jobard : « Un drone est fragile. En exagérant un peu, je peux dire qu’une sarbacane ou un lance-pierres peuvent faire l’affaire. En fait, il suffit qu’une hélice soit touchée pour le rendre inactif. Mais le laser, j’y crois pas. Imaginez en plus les dégâts si ça touche un avion civil derrière ! ».
Mais avant de dégommer quoi que ce soit, il s’agit déjà de savoir ce que le drone porte en charge. Ou pas. Alors, quand la gendarmerie annonce qu’elle va tirer les drones au plomb, comme des canards à l’ouverture de la chasse, Hakim Amrani Montanelli réagit : « Il est inimaginable que des gendarmes fassent tomber un drone sans savoir ce qu’il contient ! Et si il porte une charge explosive ? Ou biologique ? »
Eduquer ou réprimer ?
Début 2015, l’utilisation de drones de loisirs sera officiellement autorisée en France. « Mais la réglementation existe déjà. Les gens qui ont survolé les centrales n’ont pas du tout respecté les règles. C’est comme un code de la route. Ce n’est pas parce qu’il existe qu’il est respecté et il y aura toujours des délinquants ou des gens qui commettent des infractions », dit Rodolphe Jobard qui consacre un chapitre entier de son livre aux épineuses questions de la réglementation aérienne. Pablo Sotes le rejoint : « Les arrêtés de la DGAC (Direction Générale de l’Aviation Cicile) sont sortis en 2012, la loi est là, mais ce qui manque aujourd’hui, c’est un dispositif de répression. » Selon lui, les fablabs pourraient tenir un rôle majeur pour sensibiliser les nouveaux utilisateurs aux limites et dangers des vols. « Lorsque je donne mes cours de drones au Lorem, je montre mes propres erreurs, surtout aux plus jeunes, en expliquant que ces vols ne sont ni anodins ni sans risque. Mais malgré tout, on ne peut pas empêcher les petits drones de faire ce qu’ils veulent. »
Les drones : la nouvelle révolution, par Rodolphe Jobard. Ed. Eyrolles, 190 p., 28 euros.
Le site du Flylab (en construction)
Le site de Dronea, la société de drones de Rodolphe Jobard