São Paulo développe une scène maker en pleine ébullition. Fabien Eychenne, spécialiste des fablabs et depuis peu installé dans la capitale économique brésilienne, nous explique à quoi ressemble le terrain de jeu des bidouilleurs paulistes.
(São Paulo, correspondance)
São Paulo est une ville immense, avec une population équivalente à celle de l’agglomération parisienne dans un territoire qui n’en fait que sa moitié. Sa verticalité en fait une ville ressemblant à une forêt de béton cachant bien des surprises. Les commerces, en particulier dans les centres villes les plus anciens (puisqu’il y en a plusieurs), s’organisent de manière similaire. Des rues, des blocks, voire des quartiers entiers sont dévolus au même type de produits. Une avenue est dédiée aux concessionnaires automobiles, dans une rue se rassemblent des dizaines de boutiques proposant tout ce qui peut avoir trait à la restauration, un boulevard réunit les vendeurs de matériels musicaux, et la rua 25 de Março est connue pour ses tissus et breloques.
Il en va évidemment de même pour les matériaux et outils de base des makers. La rua Florêncio de Abreu déborde de commerces, souvent spécialisés, dédiés au « bricolage » sur plusieurs centaines de mètres.
On y retrouve aussi bien des boutiques généralistes vendant de l’outillage, que des boutiques très spécialisées, voire mono produit. Il existe, par exemple, une boutique proposant uniquement des « roues » et une autre offrant toute la gamme possible de visserie.
Les commerçants forment une sorte d’écosystème coopératif : lorsqu’une demande ne peut être satisfaite, les vendeurs vous dirigent vers une autre boutique à aller chiner par son numéro.
A quelques centaines de mètres se trouve la rue Santa Ifigênia dont les Paulistes utilisent l’appellation pour nommer l’ensemble du quartier. Même esprit que Florêncio de Abreu, à part qu’ici s’ouvre le royaume de l’informatique, de l’électronique, des composants électriques, de la téléphonie, etc. Il faut s’imaginer une dizaine de blocks traversés par des galeries commerciales remplies de petites boutiques vendant de tout. Une sorte d’équivalent à échelle 20 fois supérieure de la rue Montgallet à Paris.
Au milieu des vendeurs de logiciels pirates à la sauvette, des réparateurs de téléphones, des spécialistes de caméra de vidéosurveillance, de bric-à-brac de matériel d’occasion datant du millénaire précédent, se trouvent des boutiques de composants électroniques bien achalandées.
Si l’on peut retrouver tous les composants de base (moteurs, leds, condensateurs, résistances, etc.), il est par contre beaucoup plus difficile de trouver certains des composants assez spécifiques et accessibles dans les fablabs et autres makerspaces. Ici, très peu de « composants montés en surface » (SMD), aucun microcontrôleur et autres composants pour communiquer, type puce RFID, bluetooth, etc. Des plates formes de prototypage électronique type Arduino, Raspberry Pi, Teensy, des produits éducatifs comme Bare Conductive, et même des capteurs d’humidité, de son, GPS, ou gyroscopiques sont très difficiles, voire impossible à trouver, ou à des prix très élevés.
Frais de douane et difficulté d’accès aux composants
Il est facile en Europe et aux États-Unis, de se rendre sur des sites web tel que Digikey, Sparkfun, Farnell, Libelium ou Snootlab pour se procurer ce type de produits. Au Brésil, si les grandes plates formes que sont Farnell par exemple, commencent à décliner leur site web en portugais brésilien et permettent d’acheter certains des composants, rien n’est en stock et tout vient de leurs filiales étrangères. Les prix s’en ressentent.
Un microcontrôleur de base de la liste des composants des fablabs coûte 40% plus cher sur le site web brésilien que sur sa version européenne, sans compter les délais de plusieurs semaines pour le recevoir. Pour un Arduino UNO, facilement trouvable sous la barre des 20 euros en France, le même produit coûte au Brésil entre 40 et 45 euros.
Cette différence de prix est due aux frais de douanes (70% sur ce type de produit) et aux marges conséquentes des commerçants liées aux anciennes pratiques lors des deux périodes d’hyperinflation. Les machines à commande numérique sont elles aussi extrêmement chères. A titre d’exemple, une imprimante 3D Replicator 2 de Makerbot coûte 2000 dollars sur le catalogue du site alors qu’elle est facturée 4200 dollars par le vendeur officiel brésilien.
Le coût et la difficulté d’accès à de nombreux composants de l’univers maker sont un frein, ou tout du moins un des enjeux à relever pour que l’écosystème se développe. Mais ce n’est pas le seul. Il y a une vraie question culturelle autour du faire soi-même.
Le faire faire plutôt que le faire soi-même
Au Brésil, le « bricolage » et le Do It Yourself ne sont pas des pratiques valorisées et sont généralement assez peu développées. On préfère faire « faire ». Il est culturellement et socialement valorisant de faire faire. Les petits travaux dans la maison par exemple, comme monter des étagères, changer le joint de son évier, repeindre un mur, passent par des professionnels. Le coût de la main d’œuvre étant très bas (le salaire minimum est de 230 euros par mois), souvent non déclaré, les gens y font appel facilement. Dans les immeubles fermés avec portiers, les « condominio », un employé est généralement présent pour les petites réparations à domicile, qui sont compris dans le coût du loyer. A coté du « bricolagem », terme peu usité, se trouve le « gambiarra », une pratique qui consiste à bricoler, mais avec de très faibles moyens. Ce qui pourrait passer pour une certaine inventivité est généralement moqué, comme le montre la recherche du terme dans Google Images…
La fièvre du « fabrique você mesmo » (DiY)
Malgré tout, un écosystème vivant et cohérent se construit à São Paulo. Aujourd’hui, un premier fablab, le « Garagem Fab Lab » a ouvert ses portes au début 2014. L’Université de São Paulo (USP) s’est dotée d’un laboratoire équipé de nombreuses machines à commande numérique dont les étudiants souhaiteraient ouvrir les portes beaucoup plus largement. Un deuxième fablab universitaire voit le jour dans les murs d’Insper, une école d’ingénieurs réputée, avec la construction d’un ambitieux programme de formation dans lequel le laboratoire jouera le rôle principal.
A ces fablabs s’ajoute un hackerspace plus ancien et très animé, le Garoa Hackerspace, ainsi qu’un premier makerspace privé dont le créateur, Pédro, ouvre de plus en plus souvent ses portes aux communautés. Un projet de création de plusieurs Techshops est dans une phase très avancée.
La fièvre du « fabrique você mesmo » (fabriquez le vous-même) fait la une de plusieurs magasines généralistes. Enfin, les pouvoirs publics ne sont pas en reste. Le maire de São Paulo, poussé par son homologue barcelonais en visite au Brésil, est venu visiter le Garagem Fab Lab. Le concept de FabCity l’aurait particulièrement intéressé, il se murmure qu’il en voudrait une déclinaison pour São Paulo…