A Tokyo, les fablabs sont plus fab que lab
Publié le 7 octobre 2014 par Cherise Fong
Loin des campus et du MIT, les espaces de fabrication 3D à Tokyo s’adaptent à la culture locale : n’importe qui peut y venir avec du matériel, un dessin, une idée, et payer pour créer son objet unique et personnalisé.
(Tokyo, de notre correspondante)
Au Japon, la culture DiY a-t-elle du mal à s’implanter? Nous avons fait le tour des espaces dédiés à la fabrication numérique, qui s’inspirent du modèle des fablabs tout en adaptant le concept à la société japonaise, où l’achat reste la première des solutions pour s’équiper, loin des vagues de recyclage écolo européennes et américaines.
Fablab Shibuya, créé en 2012
FabLab Shibuya, situé depuis 2012 en plein cœur du quartier du design et de la mode tokyoïte, tient encore davantage de l’initiative que du concept de fablab. Si l’on y retrouve les fameuses machines à fabrication digitale par excellence (imprimante 3D et découpeuse laser), en plus d’une découpeuse papier et d’une machine à coudre numérique, jusqu’à fin septembre, l’atelier était avant tout un lieu de formation et de service technique. Les vendredis, tout un chacun peut venir suivre un cours de formation technique, puis tous les mercredis de 17h à 21h, c’est OpenLab, où les participants sont libres de revenir travailler sur leur projet personnel. La « couleur locale » ? Ceux qui viennent sont des designers ou ingénieurs à la retraite qui ont le temps et l’argent (et la curiosité, heureusement), mais qui parlent peu de leur projet et encore moins entre eux.
« Pour eux c’est trop personnel, ils ne partagent pas », explique Keisuke Inoue, directeur du fablab Shibuya. Cette spécificité, ainsi qu’une certaine absence de communauté, a conduit le fablab tokyoïte à se réorienter, à partir d’octobre 2014, vers le DIWO (Do It With Others). La partie OpenLab sera axée sur des projets collaboratifs, « un peu à la Make-a-Thon, mais sans le parrainage d’une entreprise », explique Keisuke Inoue. « Comme cela fait maintenant deux ans que le lab est ouvert, et qu’il existe d’autres espaces fab à Tokyo, nous cherchons à épurer notre mission. »
L’équipe de Shibuya continue cependant à conseiller les grandes boutiques de design-bricolage comme Tokyu Hands, anime parfois des ateliers en caravane, et surtout, assure le bon fonctionnement de &Fab, le coin de customisation équipé d’une découpeuse laser et d’une imprimante UV (impression matière) incrusté dans le grand magasin de MUJI et Loft, toujours à Shibuya.
Le fablab Shibuya présenté par Keisuke Inoue, son directeur (diaporama sonore, pour activer le sous-titrage français, cliquer sur l’icone « sous-titres » en bas à droite du player Youtube) :
« Le concept le plus important du fablab, c’est de vendre cette expérience de temps de création à nos utilisateurs, reprend Keisuke. Nous passons entre 30 minutes et une heure avec chaque client. Les usines sont les boîtes noires de la fabrication. Le consommateur sait ce qu’il a acheté, mais il ne sait pas comment le produit est fabriqué. J’espère que cette expérience [de customisation] lui permettra de ressentir un peu l’essence de la fabrication. »
« Le Japon est un pays riche, la plupart des Japonais règlent leurs problèmes en achetant des choses. Ici, on n’a pas de garages, ni de sous-sols, donc beaucoup moins d’espace pour le DiY. » Keisuke Inoue, directeur du fablab Shibuya
« L’image du fablab est surtout basée sur la culture universitaire et la société euro-américaine, ajoute Keisuke Inoue. Cela n’a pas de sens de simplement importer les mêmes idées, les mêmes méthodes au Japon. Nous venons de cultures différentes. [Après FAB9 à Yokohama], je sais que je partage cet avis avec des fablabs à Taiwan et en Corée. »
Et comme le fablab Shibuya est 100% indépendant, le principe de &Fab constitue également son modèle économique. Les clients paient Loft/MUJI pour le service de customisation en plus du produit, et Loft/MUJI paie le fablab pour son partenariat. Mais que se passerait-il si on enlevait le grand magasin de l’équation ?
HappyPrinters pour imprimer en cuir et latex
Dans le quartier encore plus jeune et branché de Harajuku, juste à côté de Shibuya, se trouve HappyPrinters, une petite boutique à imprimantes UV et latex qui permettent d’imprimer des images originales sur du cuir, du vinyl et d’autres textiles plus délicats. Comme Fablab Shibuya, HappyPrinters a sa niche au rez-de-chaussée d’un espace de co-working, donc ouvert et accessible au grand public, mais toujours intégré dans un environnement de travail en design. Il suffit de venir avec son image et éventuellement du matériel pour réaliser un produit parfaitement unique, grâce au service payant et l’accompagnement du personnel spécialiste. Pour ceux qui manquent d’inspiration, tout un tas de prototypes sont proposés sur place. La grande table au milieu donne une ambiance d’atelier dans un petit immeuble de boutiques et de bureaux.
FabCafe, le cybercafé de l’impression 3D
Dans un autre coin de Shibuya, FabCafe est un véritable café qui rappelle l’ambiance des cybercafés du début des années 1990, lorsqu’on n’avait pas encore de connexion Internet chez soi. Précurseur des FabCafe qu’on trouve actuellement à Taipei et à Barcelone (et bientôt à Bangkok), le concept original du FabCafe de Tokyo est né dans l’exposition de conteneurs de la Tokyo Design Week 2010, à l’initiative de FabLab Japan (qui réunit les fablabs japonais). En 2011, en partenariat avec le collectif Loftwork, le principe s’est matérialisé en atelier de deux jours, puis finalement en café permanent.
L’espace propose non seulement des machines (découpeuse laser, imprimante 3D, scanner 3D, etc.) mais un menu digne de ce nom (dont un excellent smoothie à la framboise…) et plein d’activités créatives dans une ambiance aussi professionnelle que sympathique. Effectivement, on n’y voit que des jeunes branchés avec leurs Macbook Air et iPhone 6, et l’enthousiasme se fait sentir. On peut même imprimer sur des macarons !
Texte, son et photos Cherise Fong