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Artistes et hackers titillent l’innovation au premier Art Hack Day français

La courbe derrière Benjamin Gaulon, organisateur du premier Art Hack Day français, représente l'occurrence du mot «innovation» depuis les années 1950 dans les livres référencés par Google.

48 heures pour plancher sur l’innovation à travers des prototypes artistiques. C’est le défi posé à la trentaine de participants du premier Art Hack Day français, qui s’est tenu à Paris du 28 au 30 août. Retour en images.

Texte et photos Quentin Chevrier

C’était le premier Art Hack Day français, qui a réuni à Parsons Paris (une école de design) quelque trente artistes et hackers du 28 au 30 août derniers, en préfiguration du festival Accès(s) à Pau (du 13 au 16 novembre prochains). Les deux artistes organisateurs, Nicolas Maigret et Benjamin Gaulon, ont choisi de nommer l’événement Disnovate, non pas pour lutter contre l’innovation, mais plutôt pour s’interroger sur la place de celle-ci dans notre société. « La courbe qu’on a affiché sur la vitrine de la galerie représente, vue de l’extérieur, le nombre d’occurrences du mot innovation depuis les années 1950 dans les livres référencés par Google. Vue depuis l’intérieur, la courbe est inversée, ce qui correspond environ à l’évolution du nombre d’occurrences du mot progrès. Ce sont ces questions que les participants ont été invités à poser à travers leurs créations. Comment l’innovation est-elle porteuse de progrès, d’obsolescence, de dépendance, de fantasme, de danger… »

Le mot «progrès» est de moins en moins utilisé. Contrairement au mot innovation.

Le Art Hack Day est né à New York avec pour objectif de rassembler « les hackers dont le média est l’art et les artistes dont le média est la technologie, et des entrepreneurs »Lorsque Benjamin Gaulon participe il y a un an à la première édition européenne au LEAP de Berlin, il est séduit par le format. A son retour à Paris, il prend la direction des programmes Art, médias et technologie de l’école Parsons Paris« On a créé cette année un master Design et Technologie. Le Art Hack Day mélangeant étudiants et artistes faisait sens comme événement de rentrée. L’école était d’accord » raconte Benjamin Gaulon. « Je travaille sur ce thème de Disnovate depuis quelques temps. Je l’ai donc proposé à Benjamin en incluant le Art Hack Day comme un pré-événement du festival Accès(s). La boucle était bouclée » complète Nicolas Maigret.

L’école possède un Make Lab équipé d’outils de bricolage et d’électronique, complété d’une découpeuse laser et d’une imprimante 3D. Quelques objets ont été récupérés à droite à gauche. Les conditions étaient réunies pour lancer le premier Art hack Day français, avec les artistes/amis des deux artistes et leurs élèves.

Le Make Lab de Parsons Paris a été mis à contribution pour les 48 heures de création.

Notre sélection parmi les réalisations des artistes, hackers et étudiants

Et si nous perdions l’électricité, que ferions-nous de nos ordinateurs ?

Des déchets informatique fondus en armes primitives. Pour leur création Refonte, Quentin Destieu et Sylvain Huguet récupèrent des déchets informatiques (comme un radiateur de processeur en bas à droite de l’image) pour les fondre à la forme de poignard, de pointe de flèche. Vision d’une innovation fragile, devenue globalement inutile, ramenant ses utilisateurs à un passé lointain.

Edward Snowden fait les cent pas… et le ménage.

Edward Snowden se cogne dans les prototypes en faisant la poussière. Evan Roth aime bien jouer des stéréotypes et mélange un fait d’actualité, une conférence à laquelle était convié le lanceur d’alerte Edward Snowden, qui n’a pas pu se déplacer et est apparu grâce à un robot de téléprésence. Pour ce Art Hack Day, l’artiste a réalisé une installation caustique, un portrait en Gif animé issu de l’intervention de Snowden qui se fait balader par un robot-aspirateur. Soit le défenseur des libertés en ligne prisonnier d’une innovation dernier cri customisée de quelques bouts de bois et une roue de Caddie.

Après la souris et l’écran tactile, voici la moins intuitive et rapide des interfaces de navigation.

Pour cliquer, veuillez taper les coordonnées X et Y du pixel. L’innovation cherche souvent à rendre plus efficace, simple, intuitif, rapide… Sarah Garcin, Louis Drulhe, Raphaël Bastide et Jérôme Saint Clair se sont amusés à faire l’inverse en développant une interface de navigation (pointer et cliquer) plus lente et complexe que toutes les options actuelles. L’utilisateur doit rentrer des coordonnées dans un script au moyen d’un clavier numérique, le curseur se déplace alors lentement (très lentement) sur l’écran jusqu’au pixel exact, et enfin clique dessus. Mieux vaut avoir bien choisi ses coordonnées. C’est exaspérant. Et c’est fait pour.

Le mini tour à poterie / jeu vidéo.

Un jeu vidéo physique de poterie. Macro Craft de Martin de Bie est fait de récup’ et de fabrication numérique. Un lecteur de CD, une manette de jeu vidéo, un peu de découpe laser et d’impression 3D… pour créer un mini-tour de potier contrôlé par la manette. L’argile fixée sur le plateau tourne grâce au moteur du lecteur CD. Le rail de la tête de lecture accueille lui une forme qui, en se rapprochant de l’argile, la modèlera progressivement. Pour réaliser de si petites pièces de poterie, évidemment que toute cette technique n’était pas nécessaire, admet Martin de Bie.

Un prototype c’est aussi du câble, de la colle, des Post-it…

Si l’utilisateur bouge, le portable se recharge. Benoit Verjat, Benjamin Riollet, Sarah Garcin et Nicolas Couturier remarquent que l’innovation tend à nous soulager d’obligations de mouvement. Dans ce cas, pourquoi bouger ? Et bien pour les faire fonctionner. Tous les appareils branchés sur ces multiprises ne fonctionnent que si elles détectent un mouvement. Les visiteurs se lancent rapidement dans d’improbables chorégraphies pour tenter de charger un téléphone portable.

Modernité + vintage + circuit bending

Jouer d’un vieux synthé hacké avec le dernier cri de la technologie. Le Leap Motion (le petit boîtier au dessus de l’écran sur la photo) est une sorte de mini Kinect détectant précisément les mouvements des deux mains et des dix doigts de l’utilisateur. Un outil performant, dont la pertinence dépend de l’usage qu’on en fait. Chris Sugrue et Gijs Gieskes ont pris un malin plaisir à s’en servir pour contrôler un vieux synthé circuit-bendé (autrement dit, le son qu’il produit est une distorsion totale rendant impossible toute mélodie).

Ce vieux magnétophone de récup’ joue un morceau si (et seulement si) quelqu’un téléphone au numéro indiqué. Un prototype réalisé par John Nichols, Jenn Kim, Karla Durango, Khari Slaughter.
Emilie Brouot et Maxime Marion ont créé Clichés. Cette oeuvre générative affiche en temps réel les résultats de recherches d’images associées au monologue « Fuck You », dans le film, la 25ème heure.
Autocompleteme laisse un ordinateur jouer avec Google.

Un ordinateur qui s’amuse tout seul quand il n’a rien à faire. Au bout de quelques instants d’inactivité, l’extension Chrome de Benjamin Gaulon et Jérôme Saint-Clair décide d’ouvrir un nouvel onglet, tape un début de phrase (par exemple « I love when », « Is there any »), et laisse Google auto-compléter les phrases, avec des propositions parfois drôles, parfois étonnantes, voire choquantes. Mais qui ne sont que le reflet des recherches humaines les plus fréquentes.

L’exposition Disnovate Art Hack Day est ouverte jusqu’au 13 septembre 2014, tous les jours sauf le dimanche au rez-de-chaussée de l’école Parsons Paris (plan).

Nicolas Maigret est co-commissaire du festival Accès(s) à Pau, du 7 octobre au 6 décembre prochains, qui sera cette année entièrement dédié à la thématique Disnovate. Une sélection des créations du Art Hack Day fera partie des œuvres exposées.