Depuis le 2 juillet, Fab10, la conférence internationale annuelle des fablabs, bat son plein à Barcelone. Petit bilan à mi-parcours, par Camille Bosqué.
Barcelone, envoyée spéciale
« Welcome to Fab10 ! »
La soirée inaugurale du 1er juillet, à l’école d’architecture IAAC où est installé le fablab de Barcelone, donnait le “la” : l’ampleur de l’événement allait dépasser de loin les éditions précédentes. Dès 18h, nous étions nombreux à faire la queue pour obtenir nos badges. L’occasion de recroiser quelques visages connus, de repérer quelques t-shirts Fab9 japonais et retrouver les fidèles du réseau.
Dans le sac fait maison qui nous est remis et contient les tracts des nombreux sponsors de la conférence, nous découvrons la dernière version du programme. Alors que les matinées sont consacrées à des présentations collectives et au Fabercize traditionnel, tous les après-midis une quinzaines de « workshops » ou de « talks » se chevauchent dans l’immense salle du Disseny Hub où les découpeuses laser côtoient les tables et les vidéoprojecteurs.
Embarras du choix et moments de flottement
Tous les jours s’offrent à nous des sessions sur l’éducation, le business, les machines, le crowdfunding, la programmation électronique, l’impression 3D, l’Internet des objets, les e-waste, l’open source appliqué aux voitures ou au mobilier… L’ensemble est vertigineux. Dans la foule, quelques discussions confirment nos pressentiments : le public n’est pas le même.
Conséquence du changement d’échelle que marque cette dixième édition : l’organisation du premier jour semble chaotique. Certains ateliers annoncés n’ont pas lieu, sont déplacés ou remaniés à la dernière minute. La frustration de ne pas pouvoir assister à l’ensemble des ateliers s’ajoute à la déception d’en avoir choisi un qui est justement annulé.
Malgré ces premiers cafouillages, le rassemblement permet de longues discussions imprévues. Est-on venu ici pour consommer tout le programme ou pour se laisser porter par le rythme général ? Les critiques vont bon train, facilitant la connivence et offrant l’occasion de confirmer le consensus sur les irrégularités du réseau wifi, la qualité des croissants du « morning break » et des sandwichs au jambon du midi, qui n’offrent aucune alternative aux végétariens ou à ceux qui ne mangent pas de porc. Choix symboliquement assez maladroit pour un événement international…
Un participant de FAB10 poste en image son dégoût pour le « sandwich industriel #meatonly » :
« Peace Labs »
Dès le deuxième jour, tout est mieux articulé. Certains ateliers entamés la veille se poursuivent, comme « Machines that Make », piloté par Nadia Peek, nouvelle tête montante de l’équipe de Neil Gershenfeld, croisée à ses côtés lors de la Maker Faire à la Maison Blanche.
Dans un coin de la grande salle, une discussion entre des fablabs à Belfast, en Israël, en Égypte et en Ukraine sur leur rôle dans les territoires en crise a retenu toute notre attention. Loin des penchants aux loisirs créatifs de certains fablabs occidentaux, ceux-là sont « un moyen crucial pour rassembler les gens ». Ohad, d’Israël, présente quelques projets menés avec les enfants du quartier où le fablab est implanté, au sud de Tel Aviv. Travailler avec eux permet de changer le comportement des parents et de dissoudre les barrières qui séparent les communautés. « Au début, on nous lançait des pierres, mais les gens ont compris ce que nous faisons. Nous sommes passés de la fabrication personnelle à la composition collective. » En fabriquant avec des enfants issus de huit écoles de la ville des parties de puzzle qui se connectent et dépendent les unes des autres, le Fablabil parvient à lier concrètement enfants juifs, musulmans ou chrétiens autour d’un même projet.
« On voulait mettre un fablab à Gaza mais l’armée a eu peur qu’on produise des armes… » Ohad, Fablabil, Israël
Dina, du fablab du Caire, confirme que « les enfants sont notre futur », témoignant de la transformation de « petits gourous » qui passent un jour la porte du fablab et finissent par devenir porte-parole ou animateur de l’endroit. Les derniers projets du fablab égyptien sont cependant plus pragmatiques : « Le gouvernement coupe l’électricité trois à quatre heures par jour en ce moment. Nous avons entamé un workshop sur l’énergie pour créer des chargeur solaires. »
L’intervention de Konstantin, responsable d’IzoLab à Donetsk (fablab, Ukraine) est particulièrement émouvante. Alors qu’il n’est guère intervenu pendant les précédentes présentations, il montre une image : « Voilà, c’est le super local où on devait s’installer il y a un mois, voilà les plans qu’on avait faits. Il y a trois semaines, l’armée russe a décidé de nous prendre cet endroit. Face à des flingues c’est assez difficile de trouver des arguments. Tout ce qu’on a pu sauver, c’est une RepRap. » Sur l’écran défilent des photos de précédents projets, qui liaient une communauté d’artistes de la ville autour de l’ancien local. « Notre activité est proche de zéro maintenant. Quand tu dois veiller à ta vie, tu arrêtes assez vite d’avoir envie d’imprimer des trucs en 3D. On doit trouver un autre plan. »
Finalement, il y a donc ici des problèmes plus graves que la qualité du café et des croissants mous servis à la pause du matin…